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discrètement quelque chose dans la mienne. Qu’ai-je vu ? Une pièce d’or!

Evviva! evviva! s’écrièrent tous les amis, heureux de voir leur ancien collègue se montrer si bon prince, et résolus à faire de leur mieux pour son succès.

Avec de pareils antécédens, une ovation était à supposer, pour peu que le chanteur s’aidât de lui-même. Nozzari répondit à l’attente générale, et chanta de façon à charmer non pas seulement les lazzaroni, mais le public tout entier, qui, transporté d’enthousiasme pour cette magnifique voix, rappela le débutant presque après chaque scène. Jamais on n’avait vu plus beau triomphe. Le soir même de cette représentation, Nozzari, devenu primo tenare, signait avec Barbaja un engagement de cinq années, sur le pied de quatre mille écus d’appointemens. La Colbrand, qui chantait Desdemona, et David, chargé du rôle de Rodrigo, partagèrent avec Nozzari les honneurs de la fête, honneurs dans lesquels il fallait bien aussi comprendre Rossini.

« La grande louange que mérite cette partition de Rossini, remarque M. Beyle, son chef-d’œuvre dans le style fort et allemand, c’est qu’elle est pleine de feu. C’est un volcan, disait-on à San-Carlo. Mais aussi cette force est toujours la même; il n’y a point de nuances, nous ne passons jamais du grave au doux, du plaisant au sévère, nous sommes sans cesse dans les trombones. » Plus j’y réfléchis et moins je parviens à me rendre compte d’une semblable critique. Des nuances ! mais ce qu’il faudrait au contraire dans cette partition reprocher à Rossini, c’est d’en avoir trop mis, d’en avoir mis partout. C’est parce que Rossini, malheureusement moins préoccupé de la puissance dramatique du sujet avec lequel il se mesure que du talent de ses chanteurs, dont, en Italien consommé, il veut à toute force faire ressortir les avantages, c’est parce que Rossini mêle à chaque instant des motifs d’opéra buffa au langage de la tragédie, c’est parce qu’il passe sans ménagement du grave au doux, du plaisant au sévère, que cette partition d’Otello manque d’unité dans le style, et que les deux premiers actes se rapportent à peine au troisième, si profondément empreint du romantisme shakspearien. M. Beyle ne pardonne pas non plus à Rossini d’avoir multiplié les récitatifs obligés, cause de monotonie, selon lui, comme si le vieux récitatif de forme traditionnelle était bien de nature à produire la variété. Il suffit d’ailleurs à M. Beyle, non point qu’une musique soit en effet allemande, mais de s’imaginer qu’elle l’est, pour qu’il la condamne de parti pris et sans rémission. L’aimable improvisateur, si porté d’habitude à se pâmer devant l’inspiration rossinienne, affiche cette fois une circonspection, une sévérité qui déconcertent, car, on en conviendra, Otello a bien quelque mérite, et cette production, si imparfaite qu’elle soit, il y a des gens qui la préfèrent, avec assez de raison, à ce Demetrio e Polibio,