Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/491

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

acharné soutenu par leurs frères en rase campagne, et qui finit par l’extermination presque entière des insurgés. Quinze cents morts restèrent sur le champ de bataille; tous les prisonniers furent égorgés le soir d’après les instructions de Marguerite[1]. La fin tragique de Jean de Marnix, ce jeune chef d’un si grand élan, couronna le désastre. Il s’était retiré avec quelques-uns des siens dans le hangar d’une ferme, et il résistait encore dans cette citadelle rustique. Demeuré seul vivant, il offrit deux mille écus pour sa rançon. Les Espagnols lui répondirent en mettant le feu au toit de chaume et aux meules de paille qui l’entouraient. Jean de Marnix fut brûlé vif sous les yeux de sa femme, qui du haut des remparts appelait en vain ses amis à le sauver ou à le venger. Après la victoire, le général Beauvoir demanda la confiscation à son profit des biens de Philippe de Marnix, l’auteur du compromis, qu’il désignait comme le chef de toute l’entreprise. Le lendemain, Guillaume écrivait une lettre où il déguisait mal son embarras envers tous les partis sous le mysticisme religieux[2] ; c’était alors son masque.

Vers le même temps, un autre parti de réformés était battu et écrasé à Waterloo, nom déjà sanglant, que l’on rencontre à la première page de cette histoire. Tel était le début de la révolution des Pays-Bas : un élan populaire soudainement comprimé par ceux qui l’avaient d’abord encouragé; l’audace manquant aux chefs naturels de la révolte et passant dans le camp ennemi ; les peuples en fuite à l’approche du duc d’Albe. Dans les provinces du nord, Bréderode, qui attendait à Amsterdam, pour entraîner la Hollande, le succès de Jean de Marnix, avait dû se retirer sans essayer de réparer le désastre. Frappé de stupeur, il allait mourir désespéré en Allemagne. Le prince d’Orange lui-même, après avoir empêché ses amis de vaincre, tombait avec eux; ruiné par leur défaite, à laquelle il avait concouru, il fuyait à son tour les Pays-Bas. Que restait-il à faire à Philippe de Marnix ? Pendant le combat d’Austruwell, se trouvait-il près de Bréderode en qualité de questeur ? L’histoire n’en dit rien. Lui-même raconte qu’après la défaite il changea tous les jours de demeure pendant plusieurs mois. L’auteur du compromis avait engagé le premier le combat contre la monarchie d’Espagne; il suivit les cent mille émigrans que le prince d’Orange entraînait sur ses pas, et dit à son pays un adieu qui semblait éternel.

Un long cri s’éleva du milieu des réfugiés belges et hollandais pour accuser le prince d’Orange. « Le pays n’avait attendu qu’un

  1. Correspondance du Taciturne, par M. Gachard, appendice, p. 500.
  2. Voyez la lettre de Guillaume du 17 mars 1567 : « Je vous puis bien dire que nous avons fait la plus belle échappade du monde, et que par la grâce de Dieu nous pouvons estimer d’être nouveau-nés. »