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était député de la Gueldre. Dès l’ouverture, il prend l’initiative de la proposition qui peut seule assurer la victoire; dans la détresse, il sait où est le sauveur. Il a vu de près Guillaume d’Orange; il propose de conférer à son héros le commandement de toutes les forces sous l’œil et la direction de l’assemblée. Le discours de Marnix de Sainte-Aldegonde a été conservé dans son entier, c’est un des monumens les plus éclatans de l’histoire politique des Pays-Bas. Le bon sens et l’enthousiasme ne furent jamais peut-être plus intimement unis que dans ce moment où un état nouveau vint au monde. Ce fut une de ces heures religieuses toujours rares dans la vie des peuples. Ces hommes si froids en apparence étaient émus malgré eux, ils entraient dans une guerre pour ainsi dire éternelle. On voulut que Marnix prêtât au nom de Guillaume serment de fidélité; il y consentit sans peine[1]. Jamais serment n’a été mieux rempli.

Le prince d’Orange n’avait pas attendu cet appel de la voix publique pour prendre son parti. Le 8 juillet 1572, il avait franchi le Rhin à la tête de mille cavaliers seulement. Le gros de ses troupes, fortes de seize mille cinq cents hommes, ne le rejoignit que six semaines plus tard. On peut s’étonner qu’il répétât la manœuvre désespérée de la campagne précédente; il vint encore une fois se placer au milieu de l’armée espagnole dans les plaines ouvertes de la Belgique. Cette témérité s’expliquait cette fois par trois raisons : donner une base au soulèvement des Pays-Bas, tendre la main aux protestans français, débloquer Mons, dont son frère, le chevaleresque Louis de Nassau, s’était emparé par surprise. De ces trois résultats projetés, aucun ne put être atteint. Au moment le plus critique, quand on attendait l’armée protestante que la cour de Charles IX avait promise, la nouvelle de la Saint-Barthélémy tomba dans le camp du prince d’Orange. « Ce fut, dit-il, un coup de massue. » Battu à Jemmapes, ses troupes, encore une fois mutinées, sans vivres et sans solde, faillirent le tuer. Il dut les ramener par Malines en Gueldre, où il les licencia. C’est à ce moment qu’il écrit à Jean de Nassau : « J’ai déterminé, avec la grâce de Dieu, d’aller me tenir en Hollande et en Zélande, et de faire illec ma sépulture<ref> Orangius plané periit. — Lauguet, Epist., p. 101. < :ref>. »

Dans ces deux campagnes de 1568 et de 1572, le héros l’emporta dans Guillaume sur le politique, le politique sur le tacticien. La confiance magnanime qu’il montra dans le courage, dans la dignité des peuples opprimés, et qui le porta par deux fois à venir attaquer les Espagnols en rase campagne, au centre même de leur domination,

  1. Meteren, Historien van de Oortogen (Histoire des guerres des Pays-Bas), t. III, page 79.