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laissant à l’opinion, à l’énergie, au génie des masses, le soin de le dégager de la position désespérée où il se jetait à corps perdu, cette confiance, dis-je, est celle d’un héros. Le politique venait ensuite, qui cherchait son point d’appui sur la France et sur la Belgique.

Ce n’est qu’après la double expérience des campagnes si hasardeuses de 1568 et de 1572, que, détrompé également de son espoir dans l’alliance française et dans l’insurrection wallonne, il se décide à prendre pied sur les grèves, les îles, les digues de la Hollande et de la Zélande, qui étaient sa position naturelle de combat. Il n’en sortit plus jamais. Les gueux de mer de La Brille lui avaient montré quelle tactique convenait à la guerre nationale; il eut le mérite de se rendre à cet enseignement de l’instinct populaire. Depuis ce moment, la vieille infanterie espagnole est dépaysée; une lutte interminable commence. Ce n’étaient plus les guerres heureuses d’Italie, où il n’y avait qu’à tuer et festoyer. Le duc d’Albe, Requesens, don Juan, le duc de Parme, s’éteignent en peu d’années les uns après les autres. Ils se sentaient pris d’un mai inconnu, et mouraient étouffés par la haine publique. Quatre générations militaires s’usent avec eux. L’Espagne se noie dans les marais sanglans de la Zélande.

Dans ce moment de crise où chaque ville soutenait un siège désespéré, Marnix était gouverneur de Delft, de Rotterdam et de Scheidan. Ces gouvernemens étaient militaires autant que civils. Il venait de fortifier La Haye, qui n’était encore qu’un bourg, et de nommer à Harlem les magistrats qui devaient tous, quelques mois après, payer cet honneur de leurs têtes.

Un de ces événemens ordinaires dans une guerre d’embûches le mit lui-même à deux doigts de sa perte. Il était allé ravitailler la vieille forteresse de Maaslanduis; les cavaliers qui le gardaient, surpris par les Espagnols, s’échappent sans faire résistance. Marnix, resté seul par l’abandon des siens[1], se défend vaillamment. Il est fait prisonnier. Dans cette guerre implacable, tout prisonnier était un homme mort. Les garnisons de Naarden, de Zutphen, de Harlem, venaient d’être égorgées jusqu’au dernier soldat. Le duc d’Albe sentit l’importance de la capture qu’il avait faite. Il écrivit sur-le-champ à Philippe II : « Les troupes logées en Hollande ont mis à mort près de six cents rebelles et pris Aldegonde, qui est un très dangereux hérétique dont le prince d’Orange s’est servi plus que de tout autre. » L’arrêt de mort ne pouvait manquer de suivre ces paroles : Guillaume d’Orange regardait déjà son fidèle compagnon comme perdu. Une

  1. « A mon très grand regret, ledit seigneur de Sainte-Aldegonde, qui autrement se montrait vaillant, ayant été délaissé de ses soldats, a été pris et mené à La Haye. » Lettre de Guillaume d’Orange, Voyez Groën van Prinsterer. Archives, t. IV, p. 286-293.