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circonstance inespérée le sauva : on apprit que le gouverneur espagnol de Hollande, l’amiral Boussu, était tombé aux mains des insurgés à la suite d’un long combat sur son vaisseau, que par jactance il avait nommé l’Inquisition. Guillaume se hâte de publier qu’il fera à l’amiral Boussu le traitement qui sera fait au seigneur de Sainte-Aldegonde. La sentence de celui-ci est différée.

Contre leur coutume, les Espagnols eux-mêmes se montraient peu impatiens de mettre à mort leur prisonnier. Ils avaient d’abord songé à l’amener à Bruxelles, espérant bien arracher d’importans aveux d’un personnage aussi considérable. Soit que Marnix voulût tirer avantage de ces dispositions pour gagner du temps, ou que le désespoir se fût emparé de son esprit, il laissa entendre que son parti ne serait point éloigné de traiter de la paix, et qu’il pourrait lui-même servir à la négociation. Il était alors entre les mains d’un vieux soldat de fortune, Ramiro, cassé par soixante ans de guerre, avide de quitter ces rudes provinces, et qui saisit promptement l’appât. Marnix alla jusqu’à dire que s’il pouvait retourner pendant huit jours auprès d’Orange, il se faisait fort de l’amener à conclure la paix désirée. Cette liberté sur otage lui fut accordée. Avant d’en profiter, il écrivit à Guillaume deux lettres où il semble exagérer son propre découragement.

Qu’y avait-il de sincère et de joué dans son attitude ? Il sera toujours difficile de le dire. En considérant de près la finesse de son esprit, on ne peut s’empêcher de voir dans la négociation entamée un moyen de tromper l’échafaud.

Pendant trois mois, il refait chaque soir son testament, car il savait comment Philippe II faisait secrètement étrangler les prisonniers importans, et comment se trouvaient des médecins pour attester qu’ils étaient morts de pleurésie[1]. Le cœur de Marnix a-t-il failli en face de cette mort menteuse et masquée ? Il a désespéré de la cause politique, non de la cause religieuse. Il était si loin de faillir à sa foi, que les Espagnols et Noircarmes jugèrent à propos de ne jamais toucher ce point avec lui. Marnix crut que la question politique était perdue, que la victoire matérielle était impossible, qu’il ne restait qu’à s’expatrier, à emporter sa croyance dans les déserts; que ses idées, ses principes, ne pouvaient s’enraciner dans ce lieu, à ce méridien; que pour les sauver il fallait les transporter par-delà l’empire

  1. « On doit procéder à l’exécution de telle manière que personne ne sache que Montigny a été justifié, mais qu’on dit en public, au contraire, qu’il est mort de sa mort naturelle. » Correspondance de Philippe II, t. Ier, p. 152. — « Il a fait exécuter secrètement Genlis après avoir publié qu’il était malade. » Ibid., p. 431. — « Il restait des Français prisonniers; le duc a dit à Requesens qu’il avait ordre du roi de les faire mourir secrètement. » Ibid., 30 décembre 1573.