Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/538

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’auteur du livre en question me reproche de lui avoir emprunté sa théorie, qui n’admet pas de causes surnaturelles, et, suivant son expression, de m’en être noblement fait une chaussure à mon pied[1]! Je pourrais bien relever dans les pages qu’il me consacre quelque chose de peu gracieux, et même, le dirai-je, d’un peu hargneux ; je pourrais relever aussi de singulières théories dynamiques, mais j’aime mieux reconnaître pleinement le mérite de quelques-unes des vues de M. A. Morin sans accepter le reproche de plagiat. Il me semble que tous ceux qui n’admettent pas les esprits comme cause des mouvemens des tables doivent se rencontrer en ce qui touche au côté principal de la question. Je n’hésite donc pas, sans rancune comme sans amitié, à finir par une citation de M. Morin, en reproduisant quelques lignes d’une profession de foi où, après avoir reconnu les effets obtenus sur les tables et avec les sons, il continue ainsi en termes un peu crus :

« Je ne crois pas que les tables tournent, marchent ou lèvent le pied poussées par un être immatériel.

« Je ne crois pas qu’après avoir eu l’esprit de se débarrasser des entraves du corps humain, une âme soit assez bête pour se fourrer dans un morceau de bois, et manifester sa présence par des exercices d’équilibre aussi absurdes qu’indignes de la supériorité que s’arroge à juste titre l’intelligence sur la matière.

« Je ne crois pas que si vous avez des parens morts ou des amis qui vous sont chers, — en supposant même qu’ils veuillent ou puissent communiquer avec vous, — ils aient choisi un aussi pauvre moyen de vous parler; car si vous employez le jour à vos affaires personnelles, ils ont au moins la nuit pour vous souffler leurs pensées à l’oreille, ou même pour vous apparaître.

« Les fantômes qui peuplaient les campagnes de nos pères, les revenans qui hantaient les ruines des vieux châteaux, s’ils n’étaient pas plus vrais que ceux des tables, savaient au moins imposer un certain respect.

« Les esprits de notre siècle, si tristement affublés de noyer, d’acajou ou de palissandre, n’inspirent que du mépris, et feraient désespérer à jamais d’élever une barrière contre la démagogie de l’ignorance superstitieuse et l’oligarchie détestable de ceux qui voudraient alimenter la superstition pour l’exploiter à leur profit, si l’excès même du ridicule des esprits ne devait pas leur donner le dernier coup ! »

Ces paroles sont rudes : durus est hic sermo! Seront-elles entendues ? Dans tous les cas, la stérilité des vieux prestiges rajeunis en dégoûtera le public à la longue, et les reléguera où ils étaient avant la crise actuelle. Les gens à imagination se trouveront avoir perdu leur temps à courir après des chimères, et les esprits sérieux pourraient bien avoir perdu le leur à démontrer la vanité des espérances nouvelles, en les jugeant au point de vue des méthodes rigoureuses d’investigation qui ont déterminé les progrès de toutes les sciences ayant pour base l’observation des faits.


BABINET, de l’Institut.

  1. Dans le premier numéro d’un journal intitulé : La Magie au dix-neuvième siècle.