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Tandis que l’un des ouvriers installait le cheval, le colonel entra dans la forge, promena autour de lui des regards scrutateurs, et prit en main successivement plusieurs outils, comme s’il se fût efforcé d’en reconnaître quelques-uns. Il eut bientôt trouvé en effet ce qu’il cherchait, et tenant d’une main de lourdes tenailles et de l’autre un marteau, il examina ces objets avec un incompréhensible sourire, ce qui étonna tellement les ouvriers, qu’ils se mirent à le regarder avec stupéfaction.

Sur ces entrefaites, le fer avait été mis au feu, le soufflet gémissait, et d’ardentes étincelles couronnaient les charbons rougis. Les ouvriers se tenaient prêts, la main sur leurs lourds marteaux ; le maître tira le fer du feu, et le bruit cadencé des marteaux fit retentir la forge.

Cette joyeuse musique parut émouvoir vivement le colonel; il écoutait, le visage radieux, comme si une symphonie enchanteresse eût frappé son oreille. Cependant, au moment où l’on allait enlever le fer de l’enclume pour l’ajuster au pied du cheval, une expression d’orgueilleux dédain courut sur ses traits; il prit des mains du maître forgeron la pince qui tenait le fer, remit celui-ci au feu et s’écria : — Ce n’est pas cela! Quel fer grossier me faites-vous là ? Allons, courage, mes enfans! En avant le soufflet!

Tandis qu’on exécutait respectueusement ses ordres et que chacun le regardait faire avec un étonnement croissant, il ôta son habit et mît à nu ses bras robustes. Lorsque le fer fut chauffé à blanc, il le posa sur l’enclume, saisit le marteau principal, et se mettant en position de diriger l’opération, il dit gaiement aux ouvriers : — Attention, camarades! Je donne la mesure; nous allons forger un fer tel que les chevaux de l’empereur n’en ont pas de meilleur. Allons, en avant, et suivez bien la chanson !

Rikke-tikke-tak
Rikke-tikke-tou !
Forgerons,
En cadence.
Forgerons, frappons!
Le fer rouge lance
L’étincelle, et bout.
Rikke-tikke-tou !

Rikke-tikke-tack
Rikke-tikke-tou !
Façonnons
Le fer rouge
En bons forgerons.
Et qu’aucun ne bouge
Avant l’œuvre à bout !
Rikke-tikke-tou!