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convulsivement d’une main le tronc d’un aune et y appuya la tête et les épaules en pleurant à chaudes larmes.

Monique comprit la douleur qui devait briser son cœur ; elle jeta les bras au cou de Jean, détacha avec une douce violence sa tête du tronc de l’arbre, et posa, pour la première fois de sa vie, un ardent baiser sur le front du jeune homme. — Jean, s’écria-t-elle, ne sois pas triste, je reviendrai, bien sûr ! Va, je souffre aussi de te quitter !

Ces témoignages d’amour parurent donner plus de force au jeune homme. Avec une tristesse plus calme, il contempla la jeune fille en pleurs, qui avait toujours le bras passé autour de son cou ; mais l’arrivée du colonel interrompit l’effusion de leurs sentimens réciproques. Le père ne vit dans cette scène qu’un épanchement d’amitié entre deux enfans. Il s’approcha du jeune paysan, et, lui prenant la main : — Jean Daelmans, lui dit-il, je vous remercie de la bonne amitié que vous portez à ma fille. Si vous avez jamais besoin d’un protecteur, vous en trouverez toujours un en moi. Nous partons pour Moll, et de là pour la France. Ne vous affligez pas, mon garçon, du bonheur de Monique : ce ne serait pas bien de votre part. Venez tout à l’heure à Moll, à l’Aigle ; vous pourrez encore y passer quelques heures avec Monique. Je veux en attendant vous donner une légère récompense…

En disant ces mots, il mit dans la main du jeune paysan quelques napoléons. Au lieu de paraître reconnaissant, Jean jeta un regard de colère au colonel, et sembla comprendre à peine ce qui se passait.

— Et maintenant partons, Monique, dit le colonel à sa fille ; il faut nous hâter. Modère ta douleur : à Moll, vous vous retrouverez encore ensemble assez longtemps.

Monique, les yeux brillans de larmes, saisit la main de son ami, et dit en s’éloignant à pas lents : — À bientôt donc, Jean, à bientôt !

Le jeune paysan baissa les yeux et demeura un instant immobile. Lorsqu’il releva la tête, le colonel et Monique étaient hors de sa vue. Alors seulement il sentit dans sa main quelque chose de lourd ; il considéra les pièces d’or avec un méprisant sourire, et les jeta loin de lui dans la bruyère. Il se laissa tomber au pied de l’arbre, et cacha son visage dans ses deux mains.

Quelques jours plus tard, une belle chaise de poste quittait le village de Moll. Trois personnes s’y trouvaient, un militaire aux traits graves et imposans, une charmante jeune fille et un jeune officier.


V.

Dans une heure, le soleil inondera la bruyère de ses rayons, déjà l’horizon s’illumine et les ténèbres se replient vers l’occident ; mille