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le sait ? Au moins ne l’avait-elle jamais avoué, ni à elle-même, ni aux autres.

Peu à peu Monique prit en aversion le monde et les plaisirs; elle n’alla plus dans les soirées ou dans d’autres réunions que sur les pressantes instances de son père, et commença à rechercher l’isolement. De temps en temps, ses lèvres remuaient machinalement, et la chanson oubliée de Rikke-tikke-tak flottait vaguement sur sa bouche. Ses joues redevinrent pâles; elle s’amaigrit et languit tellement, que son père, après avoir tenté tous les moyens possibles pour conjurer ce dépérissement physique et moral, craignit de survivre à son enfant. Un savant médecin qu’il consulta lui indiqua le mariage comme le meilleur remède, et assura que Monique se rétablirait infailliblement, si on pouvait la décider à faire choix d’un époux. En cette occurrence, le colonel van Milgem ne pouvait songer à personne autre qu’à ce jeune officier Adolphe, son fidèle compagnon, qui avait assisté à la reconnaissance de son enfant.

Le colonel mit tout en œuvre pour attirer sur Adolphe l’attention de sa fille; il la trouva sensible aux marques d’affection et aux belles qualités de son protégé, mais sans amour pour celui-ci : son cœur restait froid comme glace vis-à-vis du jeune officier. Ceci affligea vivement le père, qui se voyait privé du seul moyen par lequel il avait espéré sauver son enfant. Presque chaque jour le colonel faisait auprès de sa fille des tentatives pour apprendre d’elle ce que désirait son cœur et quelle était la source de son mal; mais elle assurait n’être pas malade, et savait chaque fois détourner ses questions en l’accablant des marques du plus tendre amour. Tout ce que put entendre et comprendre le colonel, c’est qu’elle désirait retourner en Brabant et dans la bruyère, en un mot qu’elle avait la nostalgie ou le mal du pays.

Plus d’une fois il avait promis à sa fille de faire avec elle le voyage de la Campine et d’y faire un long séjour pour qu’elle pût se ranimer en respirant l’air de la bruyère; mais toujours ses projets avaient été mis à néant par les événemens militaires qui survenaient bientôt. A la fin de l’année 1812, grâce à de pressantes et continuelles instances, il avait obtenu du ministre de la guerre la promesse qu’un congé de trois mois lui serait accordé au printemps suivant. Monique, toute joyeuse de la certitude du retour dans sa chère patrie, parut se rétablir de sa maladie; mais de terribles nouvelles arrivèrent du Nord : l’armée française avait été presque anéantie par les Russes et par un hiver terrible; personne ne pouvait prévoir les nouveaux événemens qui allaient surgir de la défaite de Napoléon. Une émotion générale s’était emparée aussi de tous les militaires restés en France. Le colonel ne put cacher à Monique des nouvelles