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répandues partout, ni lui épargner le chagrin que lui causa la conviction que rien au monde n’était moins assuré que son voyage dans la Campine.

Tout à coup l’empereur revint de Russie sans son armée et fit rendre par le sénat un décret qui appelait sous les armes trois cent cinquante mille conscrits. Le colonel reçut aussi l’ordre de rejoindre l’armée en Allemagne, à la tête de son régiment. Il mit sa fille dans une maison d’éducation à Paris, mêla ses larmes avec les siennes, et s’arracha des bras de son enfant malade pour suivre l’empereur au-delà du Rhin.

Six mois plus tard, à la bataille de Dresde, une balle l’atteignit au genou. Après la guérison de sa blessure, sa jambe demeura courbée : il boitait pour le reste de sa vie et ne pouvait marcher sans l’appui d’une canne. Cette infirmité lui permit de revenir à Paris. Il trouva sa chère Monique plus amaigrie qu’à son départ, blême, les yeux brillans, ne parlant qu’avec distraction et comme en rêve. Deux cordes seulement étaient encore sensibles dans son cœur, deux passions toujours ardentes : son amour pour lui et son aspiration vers la Campine tant regrettée. Le colonel fit immédiatement et avec la plus grande diligence tous les préparatifs nécessaires pour retourner avec Monique en Brabant. Une personne fut envoyée d’avance à Anvers pour louer et disposer une maison convenable, jusqu’à ce que la situation se fût dessinée et éclaircie, et que le colonel put acheter ou louer, dans les environs de Moll, une petite campagne.

Quelques jours après, le père et la fille partaient en chaise de poste. Aucun incident particulier ne signala l’heureux voyage qui les ramenait dans la patrie; seulement, à Anvers même et au moment où la voiture approchait de la nouvelle demeure du colonel, Monique jeta par hasard un coup d’œil dans la rue et poussa un cri si perçant, que le colonel en tressaillit d’effroi. Quand il lui demanda la cause de cette soudaine émotion, elle répondit : — Oh! ce n’est rien, mon père;... Puis je m’émeus si facilement! J’ai un là, dans la rue, un jeune homme vêtu de mauvais habits qui, au passage, m’a regardée si fixement, qu’on eût dit qu’il voulait percer mon cœur de son regard. Et voyez-vous, mon père, il ressemblait tellement à Jean Daelmans, que je n’ai pu m’empêcher de jeter un cri; mais ce n’était pas lui... C’est déjà fini; je suis remise.


VIII.

Six semâmes s’étaient écoulées depuis l’arrivée du colonel à Anvers.

Dans le grenier d’une pauvre maisonnette située au Mont-d’Or,