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une femme très âgée était assise devant un carreau à dentelles. C’était au commencement de la soirée. Le logement de la vieille femme avait une misérable apparence, car elle demeurait sous les tuiles nues et avait pour tout mobilier une petite table, deux chaises et un lit dont la couverture était un assemblage de lambeaux de toute sorte cousus ensemble. Cette femme paraissait entremêler ses fuseaux avec indifférence; pourtant elle tendait l’oreille de temps en temps vers l’alcôve où se trouvait le lit, et écoutait attentivement un bruit presque imperceptible. Elle venait de poser ses deux mains immobiles sur le carreau, lorsque la porte de la mansarde s’ouvrit et livra passage à une autre femme. La vieille posa l’index sur la bouche, et par un mouvement imperceptible invita la nouvelle venue au silence. Elle se leva, alla à elle, l’amena par la main jusqu’à la table, et, lui montrant la seconde chaise, dit à voix basse : — Ne faites pas de bruit, Trine; il dort si tranquillement!

Trine tira de sa poche un tricot, et dit à voix basse aussi : — Ah ! c’est l’homme que vous avez pris chez vous ! Savez-vous, mère Teerlinck, que c’est une bonne œuvre que vous avez faite là, si les choses sont comme on dit !

— Oui, Trine, soyez-en sûre : sans moi le pauvre garçon était mort et enterré!

Après avoir un instant exploré du regard tous les coins de la mansarde, Trine reprit : — Mais, si je ne me trompe, mère, vous avez cet homme dans votre chambre depuis cinq ou six semaines. Où vous couchez-vous donc ?

— Où je me couche, dites-vous, Trine ? Dans ce coin-là, sur une chaise, et la tête sur la table. Au reste, cela m’importe peu; j’ai eu mon temps, ma chère !

— C’est bon à dire; mais comment pouvez-vous supporter cette fatigue ? Six semaines sans se coucher sous une couverture ! Il y a de quoi en mourir!

— Trine, chacun donne à son prochain ce qu’il a : les riches donnent leur argent, et moi... moi je donne aussi ce que j’ai : mon lit et mon repos.

— Eh bien! j’avoue que je ne pourrais en faire autant; ce n’en est pas moins beau, mère, et Dieu vous revaudra cela... Mais je ne connais pas encore le fin mot de l’histoire; l’un dit ceci, l’autre cela, et au bout du compte on ne sait rien. Comment donc l’affaire est-elle arrivée ?

— Je vais vous dire cela; mais approchez-vous un peu, car il pourrait s’éveiller. C’était il y a cinq ou six semaines, un samedi; il était bien onze heures du soir. J’avais cuit un peu de rate pour mon chat, et comme il n’avait pas été à la maison de toute l’après-dinée, je pris