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quoi se mettre à danser. Et ce qui était le plus beau, c’est qu’il parlait toujours comme si on voulait le faire curé malgré lui. J’ai regardé à sa tête s’il n’y avait pas de tonsure, mais il n’y a pas eu un coup de ciseau donné dans ses cheveux blonds...

— Mon Dieu, c’est peut-être un pauvre garçon qui était ivre ou qui avait perdu la tête.

— Perdu la tête, Trine ! perdu la tête ! Si vous l’entendiez parler, vous tomberiez à genoux... Tout ce qu’il dit est comme si c’était écrit, et le plus beau sermon de notre vicaire n’est rien auprès. Voilà ses habits pendus au mur : voyez, ils sont de drap fin, Trine. Chaque fois qu’il ouvre la bouche pour me remercier, les larmes me viennent aux yeux : c’est comme un ange qui parle ! Croyez-moi, je l’aime beaucoup plus que s’il était mon propre fils, et s’il voulait rester avec moi, je travaillerais pour lui jusqu’à mon lit de mort. Il m’appelle maman, Trine ; il faudrait que vous entendissiez ce mot dans sa bouche !

— Mais comment va-t-il maintenant ? Se guérit-il ?

— Oui, il a eu pendant tout un mois l’esprit perdu et une fièvre de cheval ; mais depuis huit jours cela va mieux. Il revient ainsi tout doucement, et retrouve la mémoire. D’ailleurs il a tous ses sens. S’il parlait un peu plus, j’en saurais aussi davantage; mais il n’ouvre jamais la bouche que pour me remercier, et moi je ne lui demande rien. Il s’appelle Jean, il me l’a dit hier; le reste viendra bien, Trine, quand il sera un peu mieux portant. À cette heure il est encore maigre comme une arête et aussi blanc que votre bonnet; la première fois qu’il s’est levé, il était si faible qu’il serait tombé, si je ne l’eusse soutenu dans mes bras.

— Le pauvre garçon !

— Cela va beaucoup mieux maintenant : il marche très bien, et même il disait hier qu’il sortirait ce soir pour prendre un peu l’air.

A peine la mère Teerlinck avait-elle prononcé ces derniers mots, qu’une voix douce et tendre se fit entendre derrière les rideaux du lit; elle disait : — Maman ! bonne maman !

Ce nom et le ton qui lui était donné devaient avoir un pouvoir extraordinaire et une vertu magique sur la vieille femme, car ses yeux brillèrent d’émotion; elle prit précipitamment la lampe et un verre de lait coupé d’eau et courut au lit.

Le malade la regarda dans les yeux avec tant d’amour et de reconnaissance, que la vieille détourna la tête pour essuyer une larme. Le jeune homme saisit une de ses mains, y appuya ses lèvres dans un long baiser : — Bonne maman ! répéta-t-il encore.

Trine désirait vivement voir le visage du malade, et son cœur battait bien fort; elle frissonna de peur lorsque les yeux caves de