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dissertations despotiques de Hobbes, et terminées en 1688, au bruit des controverses d’église et d’état, par la brusque et très judicieuse exclusion de Jacques II, ces vingt-huit années sont une époque fort curieuse de l’histoire des lettres modernes. Non que cette époque ait eu par elle-même une puissante unité, un caractère décidément original, une influence universelle et prolongée : elle fut au contraire confuse et discordante, et sur plusieurs points étroite et opprimée. Elle n’eut, sauf une incomparable exception, ni la force créatrice du siècle d’Elisabeth, ni l’art poli, la pureté relative de ce qu’on a nommé fort inexactement le siècle de la reine Anne ; mais précisément pour n’avoir été qu’une époque mixte, indécise, agitée, elle est demeurée très digne d’attention dans l’histoire philosophique des lettres. Considérée sous son aspect même le moins favorable, en sa qualité de restauration vindicative et soupçonneuse, elle couvrit d’une irritante sauvegarde, elle nourrit, elle entretint dans l’amertume et porta silencieusement à toute sa mélancolique ardeur ce génie savant et sublime de Milton, que la guerre civile, la république et le protectorat avaient battu de mille souffles, sans lui avoir encore montré sa route vers l’immortalité, ni lui avoir ouvert son refuge et son temple.

Le pouvoir en effet, le régime civil de la société, agit par divers procédés sur le talent et les lettres. Il agit par la faveur ostensible, par l’estime sincère et bien placée. Il agit plus encore par le caractère élevé des institutions, la modération des principes, la noblesse des exemples; mais il agit aussi, sans le savoir et sans le vouloir, par le poids des sentimens contraints qu’il refoule dans les âmes honnêtes et libres, par les démentis qu’il donne à l’instinct moral, par les maximes qu’il préconise ou tolère, et quelquefois même par les récits indiscrets et les maladroites confidences dont il croit tirer gloire. Plusieurs de ces fautes furent commises dès le début de la restauration de Charles II, et comme un fâcheux levain, elles se mêlèrent à la masse des humeurs puritaines ; elles aigrirent la controverse de plus d’un redoutable théologien, animèrent d’une éloquence antique la philosophie de Sidney, enhardirent la sagacité méthodique de Locke, et fermentèrent dans ce moule ardent et sombre du génie de Milton.

Comme il arrivera donc sous toute restauration, la moitié de la littérature du règne de Charles II fut une réaction, une résistance, un soulèvement des souvenirs tout récens du passé; l’autre moitié presque fut l’oppression ou la dérision de ce passé, et enfin une partie de l’esprit littéraire et national se tourna vers un nouvel avenir, et préluda par une polémique plus ou moins contenue à la reprise modifiée de la révolution de 1640.

Devant la grande part qui, dans ce travail commun, appartenait aux hommes récemment sortis de cette première révolution, en