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particulier à l’ami de Bradshaw, au secrétaire latin de la république d’Angleterre, devenu dans la solitude le tardif Homère du monde chrétien, il faut en convenir, le reste de la littérature anglaise du temps, les nouvelles allures qu’elle emprunta, son imitation de la France et de la cour, pèsent bien peu sans doute dans les balances de la postérité; mais il n’en fut pas ainsi pour les contemporains. Sans compter le mérite propre de la langue anglaise, encore jeune, quoique formée, abondante, expressive, pleine d’idiotismes naturels, le talent, l’esprit créateur ne manqua non plus aux écrivains qui la parlaient alors. Cowley, Waller, Davenant, l’auteur d’Hudibras, ce trop spirituel transfuge, ce lâche plein de verve, qui sut rendre si plaisant le fanatisme même des victimes, eurent certainement de leurs jours grand éclat littéraire, et Denham et Rochester ont fait dans leur libre verve d’excellens vers classiques d’un tour indigène.

En même temps la poésie anglaise était pliée par Dryden à tout dire, à tout rendre, non seulement avec une savante facilité d’expression, mais avec une verve mobile comme le caractère même du poète, et aussi variée que ses apostasies. La comédie, ce produit le plus immédiat de la société même, tout en portant à l’excès la licence par haine du puritanisme et pour se montrer monarchique, fut vraiment originale d’esprit et de gaieté. Et enfin, s’il faut passer d’un extrême à l’autre, et demander à une restauration, comme on semble en avoir le droit, quelques monumens d’une haute gravité morale, manqueront-ils dans l’un ou l’autre des camps qui se combattaient alors ? Certes la littérature des âges chrétiens ne compte pas plus beau livre d’histoire contemporaine, plus intègre témoignage que l’Histoire de la Rébellion du chancelier Clarendon, écrite vers le milieu de la restauration, mais, il est vrai, loin de la cour et dans l’exil; d’autre part, l’Histoire de la Réformation, l’Histoire de mon temps, par Burnet, ces deux ouvrages d’une modération apparente et d’une partialité si habile, mélange curieux de la controverse savante, du récit historique, de l’anecdote détaillée et des aveux personnels, sont au rang des meilleurs et des plus agréables mémoires qu’on puisse lire sur les fautes des cours, les passions ou la servitude des assemblées, le difficile et lent ouvrage de fonder la liberté chez un peuple. Enfin c’est à la dernière et à la plus fâcheuse partie de la restauration anglaise, c’est à un temps si justement accusé d’oppression et de bigotisme qu’appartient, comme on le sait, le premier établissement de la Société royale des sciences de Londres, tant célébrée dans l’âge suivant par Voltaire, Fontenelle, Maupertuis, et qui eut certainement une grande influence sur la direction philosophique des travaux et la féconde liberté des recherches.

L’Angleterre avait donc éprouvé, avant nous, quelles dates