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rapprochait du goût cosmopolite de Sismondi et d’autres critiques étrangers; mais il s’y mêlait heureusement une connaissance plus exacte et mieux sentie de l’antiquité, et souvent aussi un retour instructif au meilleur goût classique par la liberté même des études et par le rapide passage à travers les écoles diverses. De curieuses recherches sur Shakspeare, sur les procédés mêmes de son art merveilleux, sur les remaniemens, par exemple, et les éditions successives de sa tragédie d’Hamlet, sur le génie de style enfin qui fait plus qu’à moitié la gloire de ce puissant inventeur, devenaient pour nous de véritables découvertes, sans susciter, il est vrai, un poète tragique de plus; mais l’art de la critique en lui-même s’élevait, s’étendait, prenait des formes qu’il avait eues rarement en France, hormis dans quelques confidences échappées à quelques écrivains supérieurs parlant d’eux-mêmes.

Cette nouvelle critique, en même temps qu’elle était plus étendue, plus érudite, plus philosophique, plus ouvertement liée aux grands principes d’ordre moral et de progrès civil, se montrait aussi plus encourageante et plus amie des talens nouveaux. La critique littéraire, même habilement maniée, n’avait été longtemps en France qu’une forme de moquerie appliquée à une des vanités les plus vulnérables et des prétentions les plus enviées de ce monde, la vanité du talent, la prétention de bien écrire. La critique était à la fois et surtout formaliste et railleuse ; elle prescrivait un certain mode, et n’avait pour qui s’en écartait qu’un ridicule impitoyable. Le Globe, plus sérieux sans être moins piquant, et parfois avec une veine très vive de malice française, jugea mieux les grands génies du passé, les tentatives nouvelles, les fautes de l’imitation ou de la témérité, et les inspirations vraies du talent. Sa critique était quelquefois conjecturale, inventive elle-même, et redressant ainsi par d’heureux exemples l’esprit de routine et de vulgarité littéraire. On n’a pas oublié par exemple comment, à l’occasion du Julien dans les Gaules de M. de Jouy, pièce d’une coupe classique, mais la moins antique qui fut jamais, M. Dubois, avec des souvenirs heureusement rapprochés d’histoire, de néo-platonisme, de rêverie grecque et d’austère discipline romaine, conçut et traça presque scène par scène un tableau saisissant de ce temps et de cet homme, si poétiques dans leurs symptômes de vieillesse sociale et leurs enthousiasmes de pieuse tradition et de renaissance impossible. À ce titre, et sous bien d’autres rapports, le Globe fut donc un des incidens remarquables de l’histoire littéraire de France sous la restauration.

Attentif à la fois à constater les mouvemens de l’opinion et les acquisitions de l’art, M. Nettement a peint dans son livre, avec beaucoup de force et une réminiscence peut-être un peu vindicative, la