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verve polémique et l’influence de Paul-Louis Courier, habile et populaire écrivain, savant artiste de langage, studieux et raffiné moqueur, auquel il n’a guère manqué qu’un peu de naturel : mais sur d’autres esprits, d’un art délicat aussi et d’un tour original, en dit-il assez ? Fait-il à l’excellente prose de M. Mérimée tout l’honneur qui lui est dû ? Il eût été bien de noter que quelques-unes des plus belles pages de notre temps, dans la grande manière historique, sont sorties de la plume d’un conteur de nouvelles, et que la Redoute, fragment des guerres de l’empire, admirable pour le choix terrible des faits et le tour du récit, est de la même main que Colomba et le Vase étrusque. D’autres omissions encore sont à remarquer. Des travaux plus graves, appartenant à des noms dès longtemps célèbres, n’ont pas la place qui leur était due dans ce tableau littéraire de la restauration. Quelques-uns de ces noms cependant attestaient une des circonstances du temps, la retraite, qui jetait dans l’étude tel homme accoutumé aux affaires et aux périls sous le gouvernement le plus actif qui fut jamais. C’était là sans doute une chance de plus pour le talent historique.

L’empire avait administré comme il avait conquis. Sur certains points, il avait montré une infatigable application aux détails, une science des faits, une rapidité d’organisation dont l’exemple est rare dans la réalité et peu compris par les historiens ordinaires, plus spéculatifs que pratiques. C’était là une école pour l’histoire comme l’avait écrite Polybe, l’histoire mise à nu par un homme de gouvernement qui ne sépare pas les choses de la manière dont elles se préparent, et les raconte comme il aurait pu les prescrire et les diriger. C’est par-là, c’est sous le contre-coup de tels exemples et de tels souvenirs d’expérience personnelle que l’histoire de Venise est devenue, dans la main de M. Daru, un livre neuf, caractéristique d’une époque de notre littérature narrative, livre où tout est instructif, image vraie de ce gouvernement laborieux et puissant qui cessa de vivre quand il cessa d’agir, et mourut tout à coup après avoir épuisé son œuvre. L’unité et la profonde intelligence de l’ensemble et des détails marquées dans ce livre en font un titre durable pour la mémoire de l’homme éminent qui se reposait dans un pareil labeur littéraire de la plus rude tâche qu’ait eu à remplir jamais ministre d’un conquérant infatigable et d’un maître absolu.

Parmi les talens à la fois érudits et supérieurs rappelés par l’historien littéraire de la restauration, on cherche deux noms qui appartiennent sans doute à des sciences spéciales, mais que la supériorité de la méthode et l’excellent goût du style désignaient pour un hommage à part : M. Fourier, maître si fin de la parole dans cette forme heureuse et difficile de l’éloge scientifique renouvelée