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fixé sur des montagnes lointaines, on peut se dire comme M. de Ferrière : « On s’égorge peut-être au pied de ces cimes bleuâtres pendant que nous filons tranquillement nos six nœuds à l’heure. » L’attrait puissant de ce spectacle, le mélange de tous les intérêts, l’extension et l’activité du commerce ont créé le cosmopolitisme de notre temps. On change de ciel, on va, on s’établit au loin, et pourtant l’instinct, le souvenir de la patrie se retrouve encore partout. Dans le désert et dans les villes populeuses, si quelque tristesse monte à l’esprit, c’est la pensée de la patrie qui revient. Voyez parmi ces personnages que M. Du Camp peint en passant en Égypte : il y a un Français qui songe à la France, un vieux Génois qui songe à la Rivière de Gènes, un Abyssinien qui pense à l’Abyssinie. Ainsi sursit cet immortel instinct, lien des hommes d’une même race au milieu de ce cosmopolitisme dont la littérature offre par momens l’expression.

Rentrons dans la politique. De quelque côté qu’on tournât son regard aujourd’hui, il n’est point douteux que partout on rencontrerait les mêmes préoccupations nées de la question d’Orient et de la guerre qui vient d’éclater ainsi en Europe. Les agitations intérieures semblent n’avoir fait silence que pour être remplacées par les luttes entre les peuples ; tout dans la situation actuelle se dispose visiblement pour ces luttes. Parmi ceux-là même qui n’ont point à sortir d’une stricte neutralité, il y a des tendances, des symptômes, qui indiquent de quel côté ils sont moralement. Partout en particulier la déclaration de l’Angleterre et de la France sur les neutres a été accueillie avec un empressement marqué, et tous les gouvernemens ont répondu en fermant leurs ports aux corsaires de la Russie. Au fond, les puissances combattant directement pour l’Occident ont pour elles la sympathie de tous les pays. C’est là le caractère essentiel de l’ère qui s’ouvre sur le continent européen. En dehors de cette préoccupation universelle, le fait le plus saillant qui se soit accompli depuis quelques jours est le mariage de l’empereur d’Autriche avec une princesse de Bavière. Ce mariage, qui vient de se célébrer à Vienne, a été l’occasion de fêtes brillantes, de grâces nombreuses, et même de quelques actes politiques empreints d’un visible esprit de modération. L’état de siège a été levé dans les provinces de l’empire qui étaient restées soumises à ce régime depuis quelques années ; il est levé aussi dans le royaume lombard-vénitien, et cet adoucissement apportera sans doute une amélioration dans l’état des provinces de l’Autriche, en Italie, depuis si longtemps éprouvées. Du reste l’histoire italienne vient d’avoir, il y a peu de jours, son événement, presque une insurrection, qui heureusement n’a fait tomber aucune tête. Pour tout dire, c’est une tentative du duc de Valentinois, fils du prince de Monaco, pour reconquérir ses états. Le prince s’est présenté à Menton, et il n’a point été accueilli précisément avec enthousiasme, si bien qu’il a dû être protégé par quelques hommes de la garnison piémontaise. Il a même été conduit en prison, et cela était de trop, car le prince de Monaco était dans son droit. Son petit état, composé de trois villes. Menton, Roquebrune et Monaco, et enclavé, comme on sait, dans le Piémont, a été annexé à ce dernier pays en 1848 ; mais à quel titre ? En réalité, il n’y en a point aujourd’hui encore. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que le prince de Monaco s’abrite derrière les traités de 1815, qui lui garantissent en effet la possession de ses états. En définitive, ce n’est pas sans doute pour