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du triomphe des alliés celui de sa propre cause, réussit à paralyser cette apparente opposition. À l’approche des forces autrichiennes, les troupes suisses qu’on avait mises sur pied se retirèrent, le pont de Bâle fut livré, et en quelques jours la France vit tous ses départemens de l’est inondés par l’invasion étrangère. Rien n’y était prêt pour la repousser. Napoléon était à Paris, où il dépensait les dernières ressources de son activité et de son génie pour tirer une nouvelle armée de la France épuisée ; ses maréchaux, réduits au commandement de quelques poignées de soldats qu’on décorait encore du nom de corps d’armée, et hors d’état de risquer des engagemens sérieux dans lesquels ils eussent été écrasés, pouvaient à peine, en se retirant devant les masses ennemies, ralentir un peu, par d’habiles manœuvres, la rapidité de leur marche.

À un excès de circonspection avait succédé parmi les coalisés une confiance exagérée aussi ; ils se persuadaient presque que tous les obstacles étaient surmontés, et que la route de Paris leur était complètement ouverte : ils croyaient toucher au dénoûment.

Dans ces circonstances, et avant même le passage du Rhin, le cabinet de Londres avait pensé que, les principaux souverains de l’Europe et leurs ministres se trouvant sur le théâtre des hostilités, il importait que l’Angleterre y fût aussi représentée, non plus par des agens secondaires, mais par son ministre des affaires étrangères, dépositaire responsable de la pensée du gouvernement, et, comme tel, en mesure de prendre les grandes résolutions que les conjonctures pourraient exiger. Lord Castlereagh reçut donc l’ordre de se rendre sur le continent, muni de pleins pouvoirs qui l’autorisaient à conclure toute espèce de traités et d’arrangemens avec les puissances alliées séparément ou conjointement, comme aussi avec toute autre puissance, et qui maintenaient sous sa direction tous les agens diplomatiques de l’Angleterre.

La nouvelle de sa prochaine arrivée causa une vive satisfaction à tous les membres de l’alliance, qui se trouvait alors dans une crise a laquelle il importait de mettre promptement un terme. Comme toutes les coalitions qui se croient près de triompher, elle commençait à se préoccuper un peu trop de l’usage qu’elle ferait d’une victoire non encore achevée, et les alliés entrevoyaient qu’ils auraient quelque peine à tomber d’accord sur le partage des dépouilles. La diversité des caractères et des opinions, non moins que celle des intérêts, faisait déjà éclater entre eux de graves dissentimens.

L’empereur Alexandre se présentait comme l’Agamemnon de la ligue européenne, et bien qu’il affectât de céder officiellement la première place à l’empereur d’Autriche, c’était vers lui que se tournaient tous les regards. Partout où pénétraient les armées victorieuses, on le