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Clancarty, l’un des adhérens les plus vifs et les plus confians de la cause des Bourbons, lui écrivait qu’il n’était pas étonnant que les royalistes restassent inactifs, alors qu’on semblait s’attacher à les décourager. Les deux sous-secrétaires d’état des affaires étrangères, MM. Hamilton et Edward Coke, qui envoyaient de Londres à lord Castlereagh des informations et des avis, ne cessaient de lui parler de la responsabilité qui pèserait sur lui, si les conditions de la paix ne répondaient pas à l’attente publique. À les en croire, quatre-vingt-dix-neuf personnes sur cent en Angleterre se tenaient pour assurées qu’on ne ferait aucune paix tant que les alliés ne seraient pas à Paris et que Bonaparte n’aurait pas disparu. Le cri : Pas de Bourbons, pas de paix ! était devenu populaire ; le vœu général, universel, c’était point de paix avec Bonaparte, ou tout au moins une paix qui le réduisit à un tel état d’abaissement, qu’il en résultât pour l’Angleterre une sécurité égale à celle que lui procurerait le rétablissement des Bourbons. Le public trouvait qu’on était malveillant et injuste pour ces princes. C’était aussi l’opinion du prince régent ; elle le détermina même à une démarche singulière. Dans un entretien qu’il eut avec le comte de Lieven, ambassadeur de Russie, il le chargea de demander à l’empereur Alexandre, à qui la forme de son gouvernement laissait, disait-il, plus de liberté d’action, de décider les puissances alliées à annoncer publiquement qu’elles ne voulaient plus traiter avec Napoléon, à promettre de reconnaître tout autre chef que la nation française se donnerait, et en même temps à rappeler à cette nation l’existence de son ancienne dynastie. Le comte de Lieven, ayant jugé convenable, avant de s’acquitter de cette commission, de s’assurer qu’elle ne contrariait pas les vues du ministère anglais, en parla à lord Liverpool, premier lord de la trésorerie. Celui-ci, en termes un peu moins positifs, lui témoigna les mêmes dispositions que le prince régent, et ne lui cacha pas qu’à Londres on était peu satisfait de l’esprit conciliant manifesté dans les réponses de M. de Metternich aux lettres que lui écrivait le ministre des relations extérieures de France, pour réclamer l’ouverture du congrès depuis si longtemps promis. Lord Castlereagh, à qui lord Liverpool avait laissé ignorer ces pourparlers, en fut informé par l’empereur Alexandre. Il est facile de comprendre quel fut son mécontentement. Il déclara positivement à l’empereur que, comme serviteur responsable de la couronne, son opinion bien arrêtée était absolument contraire à celle dont le comte de Lieven, par suite sans doute de quelque malentendu, s’était rendu l’interprète, et les choses en restèrent là. Dans la lettre qu’il écrivit à ce sujet à lord Liverpool, et qui est d’un ton digne et fier, il affecta de croire que l’ambassadeur russe avait mal compris les discours qu’on lui avait tenus. On s’empressa sans doute d’entrer dans la voie de rétractation qu’il avait ainsi indiquée, car peu de