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turque et la flotte moscovite voguer ensemble dans la Méditerranée, et le calife de Rome, — le sultan prenait encore ce titrer — s’employer à rétablir le trône des successeurs de saint Pierre. Repoussé à Saint-Jean-d’Acre, le vainqueur de Jaffa renonça à ses projets ; l’empire d’Occident s’offrait à lui, et dès lors on vit reparaître la politique traditionnelle de la France. Les Turcs étaient les plus sincères alliés de Napoléon : « Nous sommes inséparablement unis, disait l’empereur en 1806 à un envoyé du sultan, aussi unis que la main droite et la main gauche. » On sait pourtant qu’à Tilsitt les intérêts de la Turquie furent abandonnés par Napoléon ; on sait aussi qu’en 1812, encore irrité de la défection de son ancien allié, le divan osa refuser à l’empereur le concours actif sur lequel il comptait au moment d’envahir la Russie. À ces péripéties de la politique européenne correspondent les phases diverses de l’insurrection de la Servie. M. Ranke trace une peinture animée des chefs qui la conduisent. La première guerre de délivrance en 1806 et 1807, l’établissement du premier gouvernement national, l’administration de Kara-George, la guerre de 1809 terminée par la paix de Bucharest, celle de 1813 qui ramène la Servie sous le joug musulman, enfin l’insurrection de Michel Obrenowitch, le règne despotique de ce chef impitoyable qui semble n’avoir conquis que pour lui-même l’indépendance des Serbes, l’immense opposition qui le renverse et les divers essais de gouvernement qui se succèdent au sein d’un peuple mal préparé encore à sa tâche, ce sont là de vivans tableaux qui font autant d’honneur à l’énergie du peintre qu’à la sage et libérale inspiration du publiciste.

Au milieu de ses études sur e monde moderne, M. Ranke ne s’était pas encore spécialement occupé de l’Allemagne. En jetant les yeux sur les affaires allemandes du XVe et du XVIe siècle, il fut frappé de l’importance des travaux de la diète germanique. Depuis le commencement du XVe siècle jusqu’à la guerre de trente ans, toute la vie politique de l’Allemagne est dans les délibérations de ce grand conseil. Plus tard, des puissances nouvelles s’établiront, et ce sera en Prusse, en Autriche, souvent même dans les états secondaires, qu’il faudra chercher l’explication des événemens. De 1400 à 1638, la diète est le foyer de la politique allemande. M. Ranke résolut d’écrire cette histoire, trop reléguée jusque-là sur le second plan. C’est l’originalité de ce brillant maître d’ouvrir ainsi des routes inexploitées, et de s’y porter avec toutes ses forces. « Le hasard, écrit-il, me servit merveilleusement. Pendant l’automne de 1836, au moment même où j’en avais besoin, j’eus le bonheur de découvrir aux archives de Francfort-sur-le-Mein une collection d’un prix inestimable : ce sont quatre-vingt-seize manuscrits in-folio qui embrassent tous les actes de la diète de 1414 à 1613. » Autorisé à compléter ces documens