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dans les archives secrètes de Dresde et de Berlin, M. Ranke eut bientôt rassemblé un grand nombre de pièces qui éclairaient à ses yeux d’une lumière inattendue les différentes phases de la révolution religieuse. Ce n’était pas d’abord la réforme qui devait être le centre du tableau : M. Ranke a peu de goût pour les matières souvent traitées, il aime à être en quelque sorte l’inventeur même de son sujet ; mais comment raconter l’Allemagne du XVIe siècle sans donner la première place à l’entreprise de Luther ? Il réunit l’histoire du protestantisme à cette histoire politique dont il avait conçu l’idée, et la publia sous ce titre : Histoire d’Allemagne au temps de la reformations.

Il était difficile que cette double direction de la pensée de l’auteur ne fût pas funeste à l’ordonnance de l’ouvrage. Ce n’est pas tout : M. Ranke avait publié en 1839 les deux premiers volumes de son livre ; il avait déjà exposé les origines de la réforme, et conduit son récit jusque vers 1530, lorsque, voulant rattacher son sujet aux événemens de l’histoire européenne, il entreprit de nouveaux voyages à la recherche de ces documens politiques dont nul mieux que lui n’apprécie la valeur. M. Ranke ne se demandait pas seulement quelle avait été l’influence de la réforme sur les autres contrées de l’Europe : « L’empereur d’Allemagne, dit-il ingénieusement, régnait aussi sur l’Espagne, sur les Pays-Bas, sur une partie de l’Italie. Ce n’était pas comme successeur de Maximilien, c’était comme chef d’un immense empire, composé d’élémens très divers, qu’il prenait ses décisions, et l’histoire d’Allemagne sous Charles-Quint est impossible, si l’on n’en puise pas une bonne part dans les chancelleries étrangères, a Entraîné par ces vues brillantes, M. Ranke changea de plan une troisième fois. Il partit pour Bruxelles, où un habile érudit venait de découvrir au fond d’un dépôt abandonné tout un recueil de pièces manuscrites sur l’histoire religieuse des Pays-Bas ; puis il se rendit à Paris, et fouilla d’une main avide dans les trésors de notre grande bibliothèque. Quatre ans plus tard, il mettait au jour les trois derniers volumes de l’Histoire d’Allemagne.

Ce que tant de voyages et de recherches ont dû produire chez un homme tel que M. Ranke, on le devine aisément : le tumultueux travail des peuples germaniques après ce long ébranlement de la réforme, la guerre des paysans, le soulèvement des anabaptistes, les luttes du nord et du midi, l’intervention des puissances européennes, qui mettent à profit ce grand débat, et les péripéties nouvelles qui en résultent, le siège de Vienne par les Turcs, le sac de Rome par les lansquenets du connétable de Bourbon, la conférence de Ratisbonne, le concile de Trente, tous ces épisodes ont permis à l’historien de déployer l’érudition sobre et choisie ainsi que l’habileté ingénieuse où il excelle. Par malheur, c’est trop une succession de tableaux. Ce qu’il y a de fragmentaire dans le talent de