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du monde en sortir marqué, disait-il, de cette dégradation que toute sa carrière avait si bien méritée, à le voir abandonné de tous les siens, même de Berthier, et réduit à une situation telle que le seul sentiment qu’il pût désormais inspirer était cette pitié que les chrétiens accordent aux plus infortunés de leurs frères. Il faut convenir que cette invocation à la charité chrétienne intervient ici d’une manière assez inattendue.

Il est à remarquer que la correspondance de sir Charles Stewart contient dès cette époque, sur le singulier choix fait pour la résidence de l’empereur déchu, des observations dont tout le monde dut plus tard reconnaître la justesse. Suivant lui, M. de Talleyrand et son gouvernement en étaient très mécontens, et beaucoup de personnes s’inquiétaient de la position de l’île d’Elbe, si voisine de l’Italie, où Napoléon comptait tant de partisans, où le prince Eugène était si populaire, où régnait encore Murat, dont on devait se défier ; il pensait donc, sans se préoccuper des engagemens déjà pris, qu’il fallait chercher une autre retraite moins dangereuse pour le terrible vaincu. « Notre malheur, ajoutait-il, c’est que Bonaparte existe encore. »

Lord Castlereagh ne tarda pas d’arriver à Paris, où se trouvèrent bientôt réunis les souverains et leurs ministres. Louis XVIII, retenu en Angleterre par une attaque de goutte, ne vint qu’au mois de mai prendre possession de sa couronne. Déjà Monsieur, investi de la direction provisoire du gouvernement en qualité de lieutenant-général du royaume, avait conclu avec les gouvernemens alliés une suspension d’armes qui stipulait d’une part l’évacuation du territoire de l’ancienne France, de l’autre la remise aux coalisés des nombreuses places occupées encore en dehors de ces limites par des garnisons françaises, et l’abandon à leur profit de l’artillerie et des munitions de ces places. Cette convention, qu’on a beaucoup reprochée depuis au lieutenant-général et à M. de Talleyrand comme un acte de faiblesse, mais que les circonstances expliquent, disait d’avance quelles seraient les clauses essentielles de la paix définitive. Le traité de Paris ne fut pourtant signé que cinq semaines plus tard, le 30 mai. Les bases en étaient peu différentes des propositions de Châtillon. Cependant, comme dans les premiers momens de l’occupation de Paris l’empereur Alexandre, pour aider à la restauration des Bourbons, avait donné à entendre qu’en se ralliant à eux la France pourrait obtenir des conditions plus avantageuses que celles qu’on eût accordées à Napoléon ou à son fils, il fallut bien tenir compte de cette promesse, mais on le fit au meilleur marché possible. Alexandre, que lord Castlereagh avait craint de trouver trop favorable aux intérêts français, ne se montra pas bien exigeant dans ce sens. Avignon