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satisfaisantes, mais comme généreuses, et cette opinion a jeté de si profondes racines, qu’aujourd’hui encore bien des gens, qui ne parlent qu’avec un ressentiment, une indignation presque exagérés de la dureté du second traité de Paris, signé après la bataille de Waterloo, affectent, comme pour mieux faire ressortir cette dureté, de la mettre en contraste avec la générosité prétendue de celui du 30 mai 1814. Comment expliquer une pareille appréciation ? Par un des traits les plus malheureusement caractéristiques de l’esprit français, par l’impétuosité aveugle avec laquelle il se précipite successivement dans les ordres d’idées les plus opposés. Vingt années de guerre terminées par d’affreux désastres n’avaient pas seulement calmé l’ardeur belliqueuse, la passion de conquêtes, l’orgueil patriotique, qui, peu auparavant, exaltaient encore les esprits ; on en était venu à regarder le retour de la paix comme un bienfait tellement inappréciable, qu’on s’inquiétait assez peu des conditions auxquelles il fallait l’acheter. Dans l’irritation qu’on éprouvait contre le régime impérial et contre le gouvernement révolutionnaire qui l’avait précédé, on ne se bornait pas à frapper d’une juste réprobation ce qu’il y avait eu d’inique, de violent dans leurs procédés envers les gouvernemens étrangers ; on se persuadait que, pendant les vingt-cinq années qui venaient de s’écouler, ces gouvernemens avaient eu constamment raison contre nous, que tous leurs actes avaient été marqués au coin de la justice et de la loyauté, que les conquêtes achetées par le sang de nos soldats et consacrées par tant de traités solennels étaient toutes au même degré d’odieuses spoliations dont aucun droit ne pouvait résulter en notre faveur, que par conséquent les alliés, en se contentant de nous les reprendre et en nous en laissant même quelques débris insignifians, faisaient preuve d’une insigne modération. Tels étaient les sentimens qu’on entendait alors exprimer, non pas seulement par des émigrés, par d’anciens royalistes, en qui de semblables préventions eussent été naturelles et faciles à concevoir, mais par beaucoup d’hommes qui n’avaient pas séparé leur existence et leur fortune de celle de la France pendant les époques qu’ils vouaient ainsi à un anathème absolu. Peut-on s’étonner que le gouvernement des Bourbons n’ait pas fait d’énergiques efforts pour nous conserver une partie des conquêtes de la révolution et de l’empire, alors que nous paraissions y attacher si peu de prix ? Et de tels efforts, qui d’ailleurs eussent rencontré tant d’obstacles, n’auraient-ils pas été frappés d’impuissance par le seul fait de cet affaissement de l’esprit national évident à tous les yeux ? L’empereur Alexandre, si désireux alors de rendre son nom populaire parmi nous, et qui peut-être eût plaidé vivement et efficacement auprès de ses alliés la cause de la France,