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la France des encouragemens donnés à l’amour de la liberté, ces encouragemens ne devaient pas être continués alors qu’ils devenaient des obstacles à la domination autrichienne et sarde. Il disait enfin que grâce à ces imprudences, si la guerre se fût prolongée, des complications désastreuses n’auraient pu manquer de survenir en Italie. La correspondance de lord Castlereagh est remplie des témoignages de la préoccupation très vive que faisaient naître en lui les progrès de l’esprit libéral et constitutionnel dans une grande partie de l’Europe. Il y parle avec dépit de toutes ces constitutions de fraîche date qui menacent le monde de convulsions nouvelles ; il fait des vœux pour que d’imprudentes tentatives en Italie n’augmentent pas le nombre des expériences périlleuses tentées sur tant d’autres points dans la science du gouvernement.


« Il est impossible, écrit-il à lord William Bentinck, de ne pas voir qu’un grand changement se prépare en Europe et que les principes de liberté sont en pleine activité. Ce qu’il y a à craindre, c’est que la transition ne soit trop soudaine pour avoir le degré de maturité qui pourrait en faire sortir l’amélioration et le bonheur du monde. Voilà des constitutions nouvelles lancées en France, en Espagne, en Hollande, en Sicile. Voyons-en le résultat avant d’encourager d’autres tentatives… Je suis certain qu’il vaut mieux retarder qu’accélérer l’opération de ce principe si hasardeux qui est maintenant à l’œuvre. En Italie, il est d’autant plus nécessaire de nous en abstenir que nous sommes en concert d’action avec l’Autriche et la Sardaigne. Lorsque nous avions à chasser les Français de l’Italie, il était raisonnable de courir tous les risques pour atteindre le but, mais l’état actuel de l’Europe n’exige plus qu’on recoure à de tels moyens. »


Il y avait bien de la sagacité dans ces calculs. L’esprit qui prévoyait ainsi, peu de semaines après la chute de Napoléon, la grande place que les questions de constitution et de liberté allaient tenir désormais dans la politique européenne n’était certainement pas un esprit ordinaire. La prudence qui conseillait de retirer après la victoire les promesses de liberté dont on s’était aidé pour l’obtenir mérite sans doute moins d’admiration : on est en droit de la taxer, jusqu’à un certain point, de machiavélisme ; mais ce tort n’est pas particulier à l’Angleterre : ce fut celui de la coalition tout entière, à l’exception de l’Autriche, qui n’avait jamais fait entrer dans ses programmes et ses proclamations la moindre allusion à la liberté des peuples.


L. DE VIEL-CASTEL