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les Pays-Bas et se glisse à l’oreille des états-généraux pour leur dire en souriant sur le seuil : « Messieurs, aidez-moi, je vous prie, conseillez-moi ; aidez-vous vous-mêmes et regardez devant vous ; vestez-vous de ma robe et de ma peau ; vestez ma personne, et moi la vôtre ? » Le pis est qu’en parlant ainsi don Juan était à moitié dupe de ses discours ; après la parole toujours ironique et sanglante du duc d’Albe, le moyen de résister à ce langage enchanteur ? Il le faut cependant ; mais qui l’entreprendra ?

Marnix jugea que c’était fait de l’union, s’il ne démasquait d’emblée Philippe II, rajeuni et caché sous le masque de don Juan. Le long travail de la confédération serait détruit sans retour, car déjà le plus grand nombre n’attendait que l’occasion de paraître dupe avec quelque semblant de sincérité. De ce moment, Marnix s’étudie à contreminer l’œuvre souterraine de don Juan, et à mettre à nu sa candeur affectée. Il trouve le chiffre des lettres du prince, qui démentaient toutes ses paroles : ce fut un premier coup pour la renommée de don Juan. Viennent ensuite une série de discours, d’avertissemens, d’écrits de Marnix, qui achèvent de dévoiler le rôle que don Juan consentait à remplir. Le vainqueur de Lépante ne se releva pas de ces coups répétés. Amoureux de popularité, il sentit qu’il était perdu dans l’opinion de tous. Le glorieux don Juan d’Autriche expire désespéré sous les coups envenimés et la parole meurtrière de Marnix. Voici une partie d’une de ces lettres d’Aldegonde faite pour retentir dans les états ; je me résigne difficilement à mutiler d’aussi fières paroles :


« Vous alléguez que force lui est de gouverner par bénévolence : certes, s’il en est ainsi, il est donc forcé clément. Or vous savez comment force ou contrainte et bénévolence s’accordent. Un lion se trouvera bien forcé d’être doux, étant en cage bien enchaîné, garotté, par toutes les mines ou caresses qu’il sait faire. J’estimerais mal conseillé celui qui voudrait se mettre sous ses pattes, espérant que par force il deviendrait doux et paisible. Et même il semble qu’il n’y ait argument ni raison qui puisse plus efficacement conclure au contraire, car les rois n’oublient jamais l’injure qu’on leur a faite, à raison de quoi est très bien avisé par le sage Salomon que l’ire du roi est le messager de mort. Plus grande est l’injure, plus grand est aussi le courroux et la passion de vengeance. Or il n’y a au monde injure plus grande que l’on puisse faire à un roi que de le ranger à tel terme, qu’il soit forcé par ses propres sujets d’user de bénévolence malgré qu’il en ait ; car si les particuliers estiment promesses estorquées par force être de nulle valeur, que jugerons-nous d’un roi espagnol nourri en telles grandeur et majesté ? Pensons-nous qu’il se laissera amener là qu’il soit forcé de quitter la force pour embrasser la bénévolence de ceux desquels il se sent outragé de l’injure la plus grande qu’il puisse recevoir ?

Qui en France ou par de-çà eût cru que le roi Charles IX n’eût gardé sa