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la combattre Les sept provinces protestantes s’étant unies aux dix provinces catholiques, les ennemis découvrirent aisément qu’au nom de la majorité ils pouvaient anéantir la révolution par sa victoire même. Si dix l’emportent sur sept, il devait suffire de poser la question pour que la réforme tînt à honneur de disparaître. La première règle d’arithmétique devait en décider. Ce fut un des momens les plus périlleux pour la liberté, mise en demeure de se livrer en vertu de ses propres doctrines. Sitôt qu’une révolution est victorieuse, de tous côtés l’invitation lui est faite de périr pour l’honneur de son principe, et il est rare que cette invitation ne réussisse pas auprès du grand nombre.

Rien ne jette plus de lumière sur ce point que la conférence secrète qui fut ménagée entre les deux camps ; elle eut lieu en mai 1577, et il en reste[1] une sorte de procès-verbal qui semble être de la main de Marnix lui-même. D’un côté se trouvaient les chefs politiques du parti catholique, assistés des théologiens des universités ; de l’autre Orange, Marnix, Van der Mylen et quelques affidés. Les envoyés de Philippe II connaissent déjà l’art d’enchaîner, d’anéantir les peuples sans avoir l’air de toucher à aucune question sérieuse. Dans le temps qu’ils portent le coup fatal, ils semblent effleurer à peine un incident, une difficulté de forme. Cet art, tout puissant de nos jours, échoue devant l’énergie et la finesse d’esprit de Guillaume et d’Aldegonde. On vit là de subtils juristes aux prises avec de véritables novateurs, qui, retranchés dans la netteté même de leur situation, demeurèrent invincibles.

Il est impossible d’être plus souples, plus humbles que ne le furent les agens du catholicisme et de l’Espagne. Ils affectent de craindre la guerre. Du côté des réformés, le ton est fier, précis, net, un peu méprisant. On s’y vante de son petit nombre. « La guerre ! s’écrie Guillaume. Qu’est-ce que vous craignez ? Nous ne sommes qu’une poignée de gens, un ver contre le roi d’Espagne, et vous êtes quinze provinces contre deux. Qu’avez-vous à craindre ? »

Pour mieux masquer le débat, les docteurs catholiques parlent latin. Aldegonde les suit dans cette langue ; toutefois les assistans sentaient que le mot capital n’avait pas encore été prononcé. Il s’agissait de sommer enfin la révolution de disparaître au nom du suffrage universel, ou, comme on le disait alors, de l’universalité. Le parti espagnol se prépare à employer cette grande arme ; mais il le fait d’abord par une insinuation indirecte que M. de Grobbendonk laisse tomber négligemment en ces termes : » Promettez-vous de vous soumettre à tout ce que les états-généraux ordonneront ? » Guillaume,

  1. Correspondance de Guillaume le Taciturne, t. III, p. 447.