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de ses lèvres : Chateaubriand, Mme de Staël et Lamartine. Avec ces noms pourtant il pouvait interroger l’avenir. Il suffisait de leur demander sérieusement ce qu’ils signifiaient alors, ce qu’ils signifient encore aujourd’hui ; il ne fallait pas se laisser abuser par le succès des Martyrs, mais reconnaître que René survivrait et devait survivre à l’imitation ingénieuse et inanimée d’Homère et de Virgile. Il fallait proclamer bien haut que comme, malgré l’éclat du langage, malgré le prestige des souvenirs et la splendeur de la mise en scène, tiendrait moins de place que Delphine dans la renommée littéraire de Mme de Staël. Enfin, en insistant sur le caractère spontané des Méditations, rien n’était plus facile que de trouver dans la popularité même de ces chants nouveaux un argument contre les strophes sonores dont le public commençait à s’engouer, et qui devaient bientôt rayer du domaine de la poésie le sentiment et la pensée. À ce prix, les conclusions devenaient claires et précises. Les affirmations que je viens d’énoncer n’ont pas besoin d’être justifiées. René, Delphine et les Méditations sont des œuvres spontanées, et c’est par leur spontanéité même qu’ils se recommandent à notre admiration. Les Martyrs ne sont qu’un pastiche, le paysage de Corinne absorbe les personnages. Je crois donc que les noms seuls de Chateaubriand, de Mme de Staël et de Lamartine suffisaient pour apprécier l’esprit nouveau, la nouvelle école.

Dans le domaine dramatique, cette nouvelle école avait déjà montré ce qu’elle voulait, elle avait déjà prouvé de quelle manière elle comprenait l’histoire. M. Villemain n’avait-il pas déjà entre les mains de quoi dessiller les yeux de la foule ? Sans citer aucun nom, puisqu’il rangeait au nombre de ses devoirs la plus grande discrétion sur les vivans, il pouvait cependant rappeler à son auditoire que la transformation poétique des événemens accomplis ne consiste pas à négliger pour l’anecdote la physionomie générale d’une époque. L’Angleterre et l’Allemagne lui fournissaient des preuves sans nombre à l’appui de cette thèse. Il n’a pas voulu pousser jusque-là ses conclusions, je le regrette, mais je reconnais en même temps que son Tableau de la Littérature française au dix-huitième siècle est un des plus beaux, un des plus solides monumens que la critique ait jamais élevés. Le choix des matériaux, la manière dont ils sont assemblés, la sobriété des ornemens, contentent le goût des érudits et allèchent la curiosité des hommes du monde. N’est-ce pas là le double but de l’enseignement littéraire ?

Je n’entreprendrai pas d’apprécier le Tableau de la Littérature au moyen âge ; ce serait une tâche au-dessus de mes forces. Dans la composition de ce vaste tableau, M. Villemain a déployé une telle variété de connaissances, il a touché à tant de points, qu’il me serait