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fraîcheur, avec une jeunesse constante, où les souvenirs classiques se marient sans effort aux sentimens modernes. Arrivé à l’analyse même du poème qui a fondé la renommée de Milton, M. Villemain en signale toutes les beautés avec un discernement qui n’a jamais été surpassé. Il ne dissimule pas les singularités qui blessent le goût dans plusieurs parties de ce poème ; mais, une fois ses réserves faites, il loue avec un rare bonheur d’expression tous les épisodes qui placent Milton entre Homère et Virgile. Le tableau du paradis terrestre, la peinture du premier amour, n’ont jamais été appréciés dans une langue plus chaste et plus harmonieuse. Après la lecture même de Milton, je ne sais rien de plus pénétrant, de plus religieux, que la manière dont M. Villemain a esquissé les principaux traits de cet admirable épisode. Le désespoir de Satan, l’entretien d’Adam avec l’ange Raphaël, sont caractérisés avec une grandeur, une simplicité d’expression que Milton même n’a pas dépassées. Une fois engagé sur ce terrain, M. Villemain parle sans effort la langue poétique. Il trouve pour sa pensée des formes animées, où l’imagination et le goût se concilient dans une heureuse et féconde alliance. Dans ces pages si habiles et colorées de nuances si éclatantes, M. Villemain réalise pleinement l’idéal du critique : il pense comme un philosophe et parle comme un poète. C’est la seule manière de vulgariser la raison, de la rendre populaire. Trop souvent le bon sens et le goût parlent une langue froide et inanimée ; il appartient aux maîtres consommés de nous montrer comment la vérité la plus austère peut sans danger nous émouvoir et nous charmer. L’analyse du Paradis perdu offrait plus d’un écueil. Les souvenirs de l’antiquité classique pouvaient amener sur les lèvres du critique plus d’une comparaison dangereuse pour l’équité. M. Villemain a pressenti le danger, et n’a pas cédé à la tentation. Interrogeant Isaïe et les pères de l’église aussi souvent qu’Homère et Virgile, il a jugé Milton comme tous les poètes voudraient être jugés, en se pénétrant de son génie, sans jamais lui demander les fruits d’un autre âge et d’un autre climat. Il s’est placé au centre de la tradition chrétienne sans la discuter, et de là, comme du haut d’un phare lumineux, il a suivi le rayonnement de la pensée poétique. Acceptant avec soumission le péché originel et la rédemption, il a pu estimer sans partialité la conception épique de Milton. Il a choisi la méthode la plus sûre et l’a glorieusement appliquée. Quoi que puissent glaner les esprits curieux dans le champ inépuisable de l’érudition, ils n’ajouteront à cette grande figure aucun trait que M. Villemain n’ait déjà indiqué.

L’étude sur lord Byron, aussi fine, aussi délicate, aussi savante que les études sur Shakspeare et sur Milton, n’est pourtant pas aussi complète. Toute la partie purement littéraire est traitée avec le même