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soin, la même justesse ; mais l’auteur, je ne sais pourquoi, a reculé devant le côté philosophique du sujet. Or, en parlant de Byron, un tel côté n’était pas à négliger. Pour montrer le vrai sens de cette poésie nouvelle, il faut absolument se résigner à sonder les plaies morales de notre temps ; sans ces prolégomènes, toute appréciation de Byron sera nécessairement incomplète et restera obscure pour la plupart des lecteurs. Il ne suffit pas de caractériser le Pèlerinage d’Harold et Don Juan, d’appeler l’attention sur ce merveilleux génie qui débute par l’élégie et finit par la satire la plus amère ; il est indispensable d’interroger l’homme avant le poète. M. Villemain, qui a prouvé tant de fois la souplesse de son esprit, l’étendue et la variété de ses connaissances, n’a pas cette fois accordé assez d’importance à la philosophie. Le portrait de l’homme étant trop rapidement esquissé, la physionomie du poète ne se révèle pas avec assez d’évidence. Si l’auteur eût insisté sur l’abus du loisir, sur la misère et les orages d’une vie gouvernée par la seule passion, toutes ses remarques se seraient gravées plus profondément dans la mémoire du lecteur. Il raconte, il est vrai, en quelques pages la jeunesse, les aventures, les voyages et la mort de Byron ; mais il n’ose pas nous montrer à nu cette âme ulcérée. C’est d’ailleurs le seul reproche que je puisse adresser à cette étude, car M. Villemain analyse et discute toutes les œuvres de Byron avec une rare sagacité. Il n’embrasse pas dans une commune admiration les quatre chants du Pèlerinage ; il sent très bien, et il démontre sans peine que les deux premiers chants, malgré le charme des vers et l’éclat des couleurs, ne sont qu’une déclamation élégante sur l’Espagne et l’Orient, où la pensée tient trop peu de place. Le troisième chant est le plus beau, le plus grand des quatre, et M. Villemain en a très nettement établi tous les mérites. Quant au quatrième, à ne considérer que la forme, ce serait le plus pur, le plus accompli ; mais pour un esprit exercé, pour un juge délicat, il est loin de valoir le troisième, car il n’a pas le même accent de sincérité. L’émotion personnelle est trop souvent remplacée par les souvenirs classiques. Sur les bords du lac de Genève, devant Clarens, dans la plaine de Waterloo, Byron nous ouvre son cœur ; sur les lagunes de Venise, dans l’enceinte du Colysée, c’est à ses livres qu’il demande trop souvent ses impressions. L’excellence de la forme, l’harmonie des strophes ne réussissent pas à déguiser l’indigence ou le néant de l’émotion.

Le Don Juan était plus difficile à’ estimer que le Pèlerinage, M. Villemain, je me plais à le reconnaître, n’a omis aucun des traits distinctifs de cet admirable ouvrage. Réalité, fantaisie, élan lyrique, poésie descriptive, ironie amère, rapprochemens inattendus, il a tout signalé avec le même empressement. Il rend pleine justice à