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Turreremata[1], furent traduites dans toutes les langues de l’Europe, et lui valurent d’être canonisée par Boniface IX, quoiqu’elle ait souvent attaqué la cour de Rome avec une violence qui faisait déjà pressentir les emportemens de Luther. Sainte Catherine de Sienne, est de la même famille, mais son rôle dans les affaires de son temps fut beaucoup plus direct et plus pratique. Elle entendait comme Jeanne d’Arc des voix célestes qui lui révélaient les mystères les plus profonds de la politique ; en s’appuyant sur l’autorité de ses visions, elle dirigea un moment, et toujours avec une grande sagesse, le pape Urbain VI au milieu des premiers embarras que fit naître pour le saint-siège le grand schisme d’Occident.

En s’annoncent comme un révélateur après Catherine, Hildegarde et Brigitte, Savonarole ne faisait que rentrer dans une voie depuis longtemps ouverte, et reprendre un rôle que d’autres avaient avant lui rempli avec éclat. Le savant travail de M. Perrens, par l’abondance des documens et le détail des faits, permet de préciser nettement la nature de ce rôle, l’un des plus bizarres de l’histoire.

Jérôme Savonarole naquit à Ferrare, le 21 septembre 1452, d’une famille qui existe encore aujourd’hui. Destiné d’abord à la médecine, il se livrait à l’étude de cette science tout en s’appliquant à la lecture d’Aristote et de saint Thomas, lorsqu’un jour, en se promenant à Faenza, il entra dans une église où prêchait un moine augustin. Quelques paroles du prédicateur le frappèrent vivement ; il crut entendre la voix même de Dieu qui le conviait à se faire moine, et dès ce moment il résolut de chercher dans le cloître un repos qu’il ne devait jamais y trouver. Le 23 avril 1475, il quitta furtivement sa famille, en laissant sur sa table de travail un traité du mépris du monde et une lettre par laquelle il expliquait à son père les motifs de sa résolution. Empreinte d’une foi ardente et d’une sombre colère contre la perversité du siècle, tendre, éloquente et triviale tout à la fois, cette lettre fait déjà pressentir le mystique exalté qui ne peut supporter la grande méchanceté de certains peuples d’Italie - et le moine enthousiaste qui « craint de voir le diable lui sauter sur les épaules, et qui refuserait de retourner dans le siècle lors même qu’il pourrait y devenir plus grand que César-Auguste. » Frère Jérôme, en quittant la maison paternelle, s’était retiré à Bologne, dans un couvent de l’ordre de saint Dominique. Il y remplit pendant un an les fonctions de tailleur et de jardinier, et prit l’habit en 1476. Ces premières années de sa vie claustrale ne sont marquées par aucun incident notable. Comme tous les autres moines, il étudie Aristote, saint Thomas, l’Écriture sainte ; il instruit les novices, il parcourt les villes et les campagnes pour prêcher et pour confesser, sans que rien le fasse encore distinguer, et il attend Jusqu’à l’âge de trente-quatre ans, c’est-à-dire jusqu’à l’année 1486, avant de commencer sa mission prophétique.

C’est un dogme inviolable du christianisme que la vie de l’homme, ce douloureux combat sur la terre, est tout à la fois une épreuve et une expiation. Or ce qui est vrai pour l’individu l’est également pour l’espèce, et c’est en

  1. S. Brigittoe Revelationes, olim a Turrecremata, nunc a Duranto recognioew. Autnerpiae, 1611, in-f°.