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habitans des seize quartiers de Florence, sous leurs gonfaloniers. Chaque compagnie, dit-il, indiquera le système de gouvernement qui lui paraîtra le plus convenable, ou aura de la sorte seize systèmes différens. Les gonfaloniers, après les avoir examinés, choisiront à leur tour les quatre qui leur sembleront les meilleurs. Ils les soumettront ensuite à la seigneurie, et celle-ci, après avoir entendu la messe, adoptera définitivement, parmi ces quatre projets, celui qu’elle aura jugé le plus favorable au bien du pays. Après de longues discussions, il fut enfin décidé, et toujours d’après les conseils de Savonarole, que la seigneurie serait maintenue, et qu’on établirait à côté d’elle un conseil général, comme à Venise.

Par une de ces illusions singulières que produisent quelquefois les loinlaines perspectives de l’histoire, quelques écrivains ont regarde ce gouvernement comme un gouvernement démocratique, et ils ont même accusé frère Jérôme de démagogie. C’est là une grave erreur, car ce gouvernement prétendu populaire n’était en réalité qu’une véritable oligarchie. Il n’admettait à la participation des affaires publiques que ceux qui avaient eu parmi les seigneurs, les gonfaloniers des compagnies ou les douze buonomini, leur père, leur aïeul ou leur bisaïeul, et qui avaient acquis par là le titre de citoyens. Or ce titre de citoyens appartenait à trois mille deux cents personnes sur quatre cent mille, et Savonarole lui-même avait soin de dire que non-seulement la populace n’était point admise dans sa constitution, mais que les nobles en formaient la partie la plus nombreuse.

Un pareil gouvernement ne reposait en réalité sur aucun principe durable : il n’avait pour lui ni l’autorité de la tradition, ni l’autorité souveraine des majorités populaires, et tout était remis au hasard, car on tirait au sort les premiers magistrats. Aussi Savonarole sentit bientôt la nécessité d’en étayer la faiblesse, et au-dessus de la seigneurie, au-dessus de ce grand conseil qu’il venait de constituer et qui formait pour Florence ce que de nos jours on eût appelé le pays légal, il eut l’idée d’établir un maître tout-puissant, irresponsable, éternel et invisible. Prenant pour programme ces mots du psalmiste : ego autem constitutus sum rex, il demanda aux Florentins s’ils voulaient proclamer Jésus-Christ roi de leur république, et les Florentins répondirent : Vive notre roi Jésus ! Frère Jérôme, dans sa mystique utopie, organisa la hiérarchie des pouvoirs sur le plan de la Jérusalem céleste. Il déclara que les membres de la Seigneurie rempliraient le rôle des bons anges, et que de même que dans l’ancienne loi Dieu avait choisi pour intermédiaire entre sa toute-puissance et son peuple un prophète qu’on appelait juge, de même il choisirait à Florence un prophète pour ministre, et l’on devine quel était ce prophète.

Contrairement à ce qui s’était passé jusqu’alors dans les révolutions d’Italie, Savonarole, et c’est là un fait qui doit le faire absoudre de bien des inconséquences, Savonarole ; disons-nous, n’usa de son influence que pour prêcher la concorde, l’oubli du passé, la réconciliation entre les partis, la pratique de toutes les vertus chrétiennes ; mais il ne tarda point à reconnaître qu’on n’improvise pas la fraternité, et que pour faire régner la justice et la paix, il ne suffit point de changer les institutions, qu’il faut encore changer les hommes. Il travailla donc avec une nouvelle ardeur à la réforme des mœurs. C’était là, il faut en convenir, une lourde tache, car Florence