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la veine bouffe de l’auteur de l’Italiana in Algeri ? Comment entendre Belisario sans songer à Norma ? La Fille du Régiment est un opéra-comique dont Boïeldieu serait jaloux. Alliez la plainte élégiaque de Bellini à l’orchestre rossinien, au maître sicilien empruntez ses langueurs, au peintre d’Otello le feu qui passionne, appelez le romantisme en aide à vos efforts, et vous avez la Lucia. Quant à la Favorite, quel plus galant hommage l’esprit italien rendit-il jamais à l’Allemagne ? Ce qui dirige avant tout Donizetti dans son éclectisme, c’est un besoin forcené de réussir. Il observe, il étudie le caprice du public et s’y conforme sans laisser à ce caprice, si éphémère qu’il soit, le temps de s’évanouir. Aussi sa musique ressemble parfois à la littérature des feuilletons. Tout en déplorant l’abus du talent, on s’en amuse. D’ailleurs Donizetti n’est point un imitateur banal ; chez lui, si noyé qu’il puisse être, le grain d’originalité n’en existe pas moins, et ce glaneur du champ d’autrui finit toujours pardonner à sa gerbe un tour qui lui est propre. N’importe, il est certain qu’en fait de nationalité, Donizetti n’en représente aucune, ce qui ne l’empêcha pas d’avoir une très grande célébrité. Nous ne voyons pas cependant que sa renommée lui ait de beaucoup survécu. On se souvient de l’impression mélancolique et profonde que produisit la mort de Bellini, et cela non point seulement en Italie, mais dans la société parisienne tout entière. Un matin, les journaux annoncèrent que Donizetti était mort fou ; qui s’en occupa ? Il est vrai que nous étions alors en 18848, et qu’un musicien ne pouvait plus mal tomber pour faire parler de lui. L’auteur des Puritains avait quitté le monde au bon moment, l’auteur de Lucia un moment trop tôt, en ce sens que chez les talens de cette nature la production est indéfinie. Qui sait combien de partitions cette muse agréable et négligée eût encore fournies, si Dieu l’eût laissée vivre ? Avec Donizetti s’en est allé le dernier des Romains. Si émoussée que fût chez lui la corde nationale, du moins pouvait-on dire qu’elle avait vibré au début, tandis qu’aujourd’hui les compositeurs italiens naissent allemands ou français, et commencent comme finissaient ceux qui les ont précédés. Voyez Verdi. Sacchetti raconte qu’un jour, dans une société de lettrés et de savans, André Orcagna posa cette question : Qui avait été le plus grand peintre, Giotto excepté ? L’un nommait Ciniabuë, l’autre Stefano, Bernardo ou Buffalmacco. Taddeo Gaddi, qui se trouvait présent, dit : Certainement il y a eu de grands talens, mais cet art va manquant tous les jours. — Au lieu de Giotto dites Rossini, et l’anecdote s’applique à la musique, cet art qui, lui aussi, s’en va manquant tous les jours !

Quel que soit le rang historique qu’on leur assigne, les deux compositeurs dont je viens de parler exercèrent de 1830 à 1835 une incontestable