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fort peu avantageusement connue jusqu’à ce jour, a été indignement calomniée depuis des siècles, je ne pourrai accepter avec une foi aveugle ces documens écrits ou verbaux. On ne se méprendra pas, je l’espère, sur la pensée fondamentale de toute cette argumentation : elle ne tend ni à dénigrer les admirables chevaux arabes, ni à prétendre que le pur sang ne s’est pas conservé dans toute sa pureté originelle au milieu des tribus du désert; elle tend seulement à faire toucher au doigt ce qu’il y a d’obscur, de confus, d’impénétrable dans la classification des chevaux arabes en familles distinctes.

Mon excursion chez les Arabes Anésis avait été entreprise dans l’unique intention de voir le cheval arabe sur le théâtre de sa naissance et de ses exploits. Le cheik Méhémet-Duhi, de la tribu des Arabes Anésis, dont les chevaux jouissent d’une si grande réputation, m’avait invité à mettre à contribution l’hospitalité de sa tente. Des amis anxieux, peu éclairés sur la probité de Méhémet-Duhi, cherchèrent à me détourner de me rendre à cette invitation; mais confiant dans la franc-maçonnerie du sport, je me mis en route, et après trois jours de marche j’arrivai en vue des tentes. Ce que j’avais vu jusque-là du désert ne m’avait offert, je l’avoue, qu’une compensation incomplète des fatigues de la route. Un terrain pierreux où poussaient de temps à autre quelques herbes sèches, un horizon à perte de vue dont rien ne venait troubler la stérile uniformité, résumaient le paysage que j’avais pu contempler depuis plus de soixante heures, quand j’aperçus le camp des Anésis. Les tentes étaient dressées dans un bas-fond où quelques herbes jaunâtres annonçaient des prétentions à la végétation et un semblant de ruisseau. Quelques cavaliers sur un monticule semblaient établis en sentinelle pour veiller à la sauvegarde du camp. Ces indices de vie, les premiers qui venaient animer la solitude de ma route, flattèrent doublement mes regards, et j’activai le pas de ma monture dans la direction des cavaliers. Je n’étais plus guère qu’à une bonne portée de fusil du monticule, quand il se couronna d’une multitude de cavaliers et de piétons; des hourrahs sauvages ébranlèrent les échos, et une avalanche humaine roula à ma rencontre. Ce fut comme une danse infernale, un sabbat gigantesque qui passa sous mes yeux avec la rapidité de l’éclair, et au milieu duquel je pus à peine saisir quelques détails caractéristiques de la scène : — une dame arabe en longs cheveux et en robe rouge, Sémiramis du désert, galopant à califourchon sur un magnifique animal; un monsieur, morion en tête, la poitrine couverte d’une épaisse cotte de mailles, vêtement peu de saison, et qui avait appartenu sans doute à la garde-robe de Tancrède ou du sultan Saladin ! La crinière au vent, vêtu d’une lance, un furieux, monté sur un cheval aussi léger de harnachement que son maître de costume, vint promener en passant son fer à trois pouces de mon nez