Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/1163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gai propos dans sa bouche a le goût du vieux vin. Les fossettes du rire se creusent d’avance sur son visage comme pour saluer ses joyeuses pensées. Sa parole est savoureuse, et il vous a en causant un je ne sais quoi de chaud et de coloré qui ressemble aux beaux jours de septembre. Un digne homme, monsieur, lequel, croyez-le, à l’appel suprême fera preuve d’une bien blanche conscience, — à part peut-être quelques petites taches de vin ! »


C’est là le John Bull gentleman, le descendant direct de « l’oncle Toby » de Sterne, et le poète de la nouvelle école le traite avec cette tendresse que ressentent les natures vraiment poétiques pour tout ce qui va finir. Oui, avec les carlyléens et les shelleyistes John Bull ne peut continuer d’être. Il ne lutte pas, parce qu’il ne comprend pas les attaques de ses ennemis ; mais devant la puissante irruption des prédicateurs des dogmes nouveaux il succombera comme le gentilhomme français, le disciple des Lauzun et des Richelieu, a succombé aux idées de 89. Un homme de beaucoup d’esprit à Londres prétend que tout date de la destruction du stage-coach, et qu’à compter du jour où le Brighton-coachman disparut, — vaincu par le rail-road, — la royauté de John Bull devint une fiction. Cependant, nous le répétons encore, cette révolution qui détrône ce que l’Angleterre avait de plus anglais est elle-même éminemment nationale, et ne se fait qu’au nom d’une plus grande extension accordée à l’élément anglo-saxon et dans les idées et dans la langue. Les œuvres de Longfellow en sont à Londres à leur vingtième édition, Carlyle est populaire ; Alexandre Smith, pour un volume de vers, se voit récompensé par une belle position universitaire, et parmi les femmes et les jeunes filles qui lisent autre chose que les plus mauvais romans français, toutes avouent le culte de Shelley. Ceci suffirait au besoin pour prouver que le mouvement actuel tient au sentiment de la nationalité, tout en étant aussi, d’un certain point de vue philosophique, un mouvement révolutionnaire. On ne réclame rien violemment, on n’injurie aucune institution, on ne se révolte contre aucune loi, mais on veut le droit de tout savoir, de tout interroger, et on s’élève surtout contre la prétention de condamner quoi que ce soit de parti-pris. On devine les conséquences de tels principes dans un pays où socialement le parti-pris faisait la base de tout. Otez à l’Angleterre ses souverains préjugés et l’étroitesse de ses vues en certains cas, et que de causes de solidité sinon de grandeur vous détruirez ! Les défauts d’une grande nation ont toujours leur raison d’être, et qui sait par exemple quelle force de cohésion résidait pour la société anglaise dans son esprit de parti-pris ? « Le développement de l’esprit saxon coexiste-t-il de toute nécessité avec la grandeur de l’Angleterre ? en est-il le signe, ou bien présage-t-il d’affreux déchiremens dans l’avenir ? C’est le secret que garde peut-être la