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fin du siècle. » - Nous demandons la permission de rappeler ici ces quelques lignes de notre étude sur M. Fane, et, cela dit en passant ; revenons à celui dont les coups sont les plus rudes pour la « légèreté illibérale » de ses compatriotes.

Le volume d’Alexandre Smith contient un poème intitulé le Drame de la vie, deux ou trois petites pièces fugitives, et une demi-douzaine de sonnets qui peuvent compter parmi les plus remarquables de la langue anglaise. Dans la première scène du Drame de la vie, Walter, le héros du livre, nous apparaît dans une vaste chambre à peine éclairée, lisant sur un papier des vers qu’il vient de l’aire. Tout à coup il déchire la feuille en s’écriant :


« Poésie, poésie ! je te donnerais tout : mes années riches en trésors, mes plaisirs passagers et mes solennelles joies. Je te les donnerais aussi passionnément que la tremblante Héro donna tout son être pour un baiser de Léandre !… Ma vie est chétive et fanée comme l’aile froissée d’un papillon ; mais un sourire de toi me fait un vêtement de royaumes (clothes me with kingdoms)… Oh ! la gloire, la gloire ! nom le plus sublime après celui de Dieu ! Je guette un seul regard de la gloire !… Imbécile que je suis ! Autant vaudrait que le voyageur égaré dans le désert essayât par ses cris d’attirer l’attention du sphinx, qui éternellement de ses yeux calmes fixe le même regard sur le vide ! »


Le culte de la renommée, l’aspiration vers la gloire, voilà ce qui remplit l’âme de Walter. Dans la seconde scène, nous le voyons endormi au pied d’un arbre, lorsque vient à passer une dame qui n’est jamais désignée autrement que sous le nom de Lady. C’est simplement la première apparition de l’idéal féminin dans la vie. Jusqu’ici l’unique passion de Walter a été la poésie ; maintenant celle-ci se compliquera, s’alimentera d’un sentiment nouveau :


« Qu’est ceci ? se demande la dame. Un bel adolescent perdu dans ce bois, et qui de fatigue s’est endormi, pareil au jeune Apollon, à l’ombre de sa chevelure d’or. Qu’il est charmant avec ses joues délicates et ses lèvres entrouvertes par le sommeil, et qu’on l’embrasserait volontiers ! Paupières envieuses, que j’aimerais à voir ses yeux ! et que merveilleux doivent être des joyaux entérinés en si riche cassette ! »


Curieuse, l’étrangère ramasse un livre échappé des mains de Walter, et dans le livre elle trouve sur un papier volant des vers tout fraîchement écrits.


« Ah ! s’écrie-t-elle, voici donc le mystère ; c’est un poète ! une âme opulente tombée dans mon chemin comme une vaste coupe d’or ! À mon sens, les poètes doivent être charmans ; — de douces et gentilles façons, à jamais jeunes, à jamais beaux ; — je les voudrais tous semblables à celui-ci : — cheveux d’or, lèvres de ruse, puis chantant incessamment l’amour. — l’amour ! vieille