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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/281

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Comment admettre que ces innombrables strophes aient jailli comme des sources d’eau vive, toutes à la fois, dans l’espace de quelques années ? On ne doit pas être surpris de rencontrer dans la période védique des traces du changement qui s’opère dans l’état social et dans les idées du peuple aryen.

Au temps où les premiers hymnes du Rig-Véda furent composés, ce peuple formait une famille assez nombreuse d’émigrans, inconnue comme nation, mais civilisée déjà, puisqu’elle avait un culte, des chants sacrés, un rituel, une langue capable d’exprimer les idées métaphysiques et abstraites, enfin l’ensemble des croyances et des lois qui constituent une société. Il y a en lui la vitalité propre aux races japhétiques, une force d’expansion et d’assimilation qui lui permettra de détruire, de refouler ou d’absorber les tribus étrangères qu’il rencontre dans sa migration vers le sud. Devant les Aryens disparaîtront un jour, anéantis ou dispersés, les aborigènes au teint noir, — Chamites selon toute apparence, — qui peuplaient la partie méridionale de l’Asie comprise entre l’Himalaya, l’Irawati, l’Indus, les plateaux de la Tartarie et des deux mers qui baignent la presqu’île. Pour accomplir cette conquête, il faudra que la nation aryenne s’accroisse et se transforme. À côté des prêtres officians qui se mêlent encore aux guerriers, s’élèvera bientôt la classe militaire et royale, uniquement vouée au rude métier des armes, destinée à devenir puissante et à dominer les sacrificateurs eux-mêmes. Il y a plus : les sages, auteurs des hymnes chantés durant les cérémonies du culte, n’hésitent point à célébrer la générosité des princes qui les paient de leurs services en leur faisant de riches présens. Ainsi Bharadvadja, dont les descendans furent des prêtres de famille des rois régnant à Hastinapoura (l’ancienne Dehli), et qui passe pour avoir été l’un des patriarches qui transmirent au monde l’ensemble du Véda, dit très clairement :


« Le fils de Tchayamana, le riche prince Abhyavarttin m’a dpnné, ô Agrii ! vingt couples de bœufs appareillés et attelés à un char ; c’est un présent que les autres princes peuvent difficilement égaler. »


Et ailleurs :


« Écoute-nous, ô Indra ! nous t’invoquons, nous faisons des libations en ton honneur pour obtenir l’abondance. Le jour où les peuples s’assemblent pour combattre, viens nous prêter ton redoutable secours… Que le fils de Pratardana[1], Kchatasri, devienne le vainqueur de ses ennemis et le possesseur des plus riches trésors ! »

  1. Ce roi régnait dans une petite ville qui fut détruite et sur remplacement de laquelle s’élève la Benarès des temps modernes. Ce lieu, vénéré des Hindous, aurait donc été possédé par leurs ancêtres il y a près de trois mille ans.