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à la faveur de la popularité de son nom, une chambre d’un libéralisme turbulent. Il n’y avait plus de choix qu’entre un coup d’état et la retraite du premier ministre : ce fut la retraite de Gioberti qui prévalut, et le Piémont resta avec son parlement agité et un ministère dont toute la politique se réduisait à la guerre immédiate avec l’Autriche. Gioberti avait été, satis s’en douter, le jouet du parti démocratique.

Arbitre de ces situations diverses et de ces crises que, comme roi constitutionnel, il dénouait périodiquement, Charles-Albert les voyait passer avec une singulière anxiété d’esprit. Plus que tout autre, il sentait quelle impuissance elles créaient au Piémont, et l’amertume de son cœur en redoublait. Quand les passions révolutionnaires étaient le plus effrénées autour de lui, il disait un jour à un de ses amis : « Que veulent-ils donc ? S’ils veulent ma couronne, qu’ils la prennent, je n’y tiens pas beaucoup ! » Les passions révolutionnaires dans un pays comme le Piémont ne demandaient pas précisément à Charles-Albert de se dépouiller de la couronne ; elles lui demandaient quelque chose d’aussi insensé, — la guerre, une guerre immédiate avec l’Autriche, — allant ainsi remuer les plus secrets instincts de son âme, qui ne pouvait supporter le poids de la défaite. Par tous les conseils de sa raison, le roi eût incliné vers la paix. Il comprenait que dans la phase politique où entrait l’Europe, au milieu de l’ébranlement des sociétés, avec les odieuses diversions créées par la démagogie italienne, une guerre nouvelle n’offrait plus aucune chance sérieuse de succès. Il ne pouvait se dissimuler que tous les élémens à fois manquaient à une telle entreprise, et par là il sentait tout ce qu’il y avait de patriotique et de sage dans la politique moins belliqueuse des conservateurs les plus dévoués à son trône, au Piémont, aux idées constitutionnelles modérées. Par l’entraînement du cœur, il était ramené à la lutte. Plein de l’amer souvenir de Custozza et de Milan, il lui semblait qu’il ne pouvait se résigner à la cruelle nécessité de la paix sans livrer un dernier combat, dût-il y laisser la couronne et la vie. À ceux de ses amis qui lui montraient l’évidence du péril, il répondait que c’était une question d’honneur. Il avait pu se prêter d’abord à la politique de Gioberti, à ses projets d’intervention à Florence et à Rome, tant que ces projets gardaient un caractère simple et net ; dès qu’ils ne faisaient que changer le terrain de la guerre en la compliquant, Charles-Albert aimait mieux aller droit au but. Puis il n’aimait pas Gioberti, qui semblait se considérer comme une façon de Richelieu auprès d’un autre Louis XIII. Un ministère démocratique n’était plus dès lors le libre choix de son esprit, c’était une fatalité. Le principe de la guerre immédiate accepté par Charles-Albert, l’armistice avec l’Autriche était dénoncé le 12 mars 1849.

Ainsi ce petit pays marchait de nouveau au combat avec un