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eût été épargnée à la Grèce. C’est un point que l’équité nous oblige de constater avant de commencer le récit de cette crise. Nous avons montré en effet que, malgré la forme représentative, le roi avait conservé toute la puissance dans ses mains. Le roi seul pouvait donc s’opposer aux entraînemens de la grande idée. Or, si la France et l’Angleterre eussent marché d’accord à Athènes depuis plusieurs années, il est probable que le roi Othon n’eût jamais séparé sa politique extérieure de celle des puissances occidentales et eût comprimé dans la guerre actuelle le mouvement des hétairies. Les anciennes dispositions connues du roi Othon confirment cette appréciation. Dans l’origine, le roi Othon s’était montré inquiet et défiant à l’endroit de la grande idée. La composition et le but des hétairies lui inspiraient d’égales appréhensions. Les sociétés secrètes étaient surtout recrutées dans le parti napiste, celui qui s’était toujours montré hostile au roi et favorable à la Russie. Le roi Othon voyait donc d’un côté une intrigue ourdie contre son trône dans les sociétés formées en apparence pour délivrer l’Épire et la Thessalie ; de l’autre, il craignait, en favorisant la grande idée, de ne travailler qu’au profit des intérêts russes. Lui-même, pénétré de ces idées, dont les faits ont dû lui démontrer si cruellement la sagesse, il répétait en 1849 ce mot de Capodistrias : « Il vaut mieux pour la Grèce un turban à Constantinople qu’un chapeau à plumes. » — « Si une puissance européenne se substituait aux Turcs, ajoutait le roi Othon, non-seulement la Grèce perdrait toutes ses chances d’avenir, mais encore son indépendance elle-même serait compromise. » Le roi Othon disait aussi à cette époque que, si le cabinet de Londres modifiait son attitude à son égard, il n’hésiterait pas à imprimer à sa politique extérieure une direction plus conforme aux vues de la France et de l’Angleterre qu’à celles de la Russie. En rappelant ces dispositions du roi Othon, auxquelles pour sa part la France se fût prêtée avec empressement, nous n’entendons point raviver contre l’ancienne politique de l’Angleterre à Athènes des récriminations stériles : nous voulons signaler par un exemple saisissant les désastreuses conséquences des divisions de la France et de l’Angleterre, les maux que leur union peut prévenir et le bien qu’elle peut faire. Nous tenons aussi à montrer que le roi Othon a quelque titre à l’indulgence des esprits impartiaux, et que si l’on juge sévèrement ses fautes récentes, il ne faut point oublier cependant les difficultés de sa situation.

Le court aperçu que nous venons de tracer de l’état de la Grèce était nécessaire pour faire comprendre le caractère et la portée du mouvement auquel la France et l’Angleterre ont été obligées de résister. Ou devine l’impression que durent produire sur de pareils élémens la mission du prince Menchikof et les premiers symptômes