au commencement de mars ; la neige se voyait encore sur les monts et çà et là à mi-côte, par plaques blanchâtres ; mais dans les fonds le soleil piquait déjà, et il commençait à faire bon se décoquiller à midi dans un creux de vigne ou derrière un mur. J’allai au taillis et j’en rapportai une grosse touffe de bois-gentil. Mlle Élisa le soigna si bien, que le dimanche suivant, quand j’en apportai d’autre, il était encore tout en fraîcheur. Depuis ce jour-là, pas une fleur ne fleurit dans le bois, sans qu’il en parût sur sa cheminée. J’aurais voulu avoir la puissance du bon Dieu pour en faire sortir de terre de nouvelles encore. Les narcisses étaient de toutes celles qu’elle préférait : vous pouvez croire que je ne m’épargnai pas à lui en apporter. Une fois disparus de nos champs, j’allai en chercher plus haut dans la montagne et jusque dans les près-bois de la forêt de sapins ; mais j’avais beau les rafraîchir à toutes les sources que je rencontrais, ils étaient toujours fanés, quand j’arrivais à la ville. Je les jetais alors ; elle le sut et me gronda. — Si je les aime, me dit-elle, ce n’est pas tant pour leur beauté que parce qu’ils vivent peu. Elle était, contre son habitude, triste en me disant cela. Je la regardai ; elle me parut plus pâle qu’à l’ordinaire, ou plutôt je m’aperçus de sa pâleur pour la première fois. Son regard rencontra le mien : elle baissa les yeux, nous ne dîmes plus rien ; mais sa mère étant venue à entrer, elle reprit à l’instant sa gaieté habituelle.
La position de fortune de Mme Roset était loin d’être heureuse : trois cents francs de pension, un tout petit rentaire[1], une vigne de huit à neuf ouvrées, pour trois personnes, convenez que ce n’était pas trop ; mais, comme on dit, elles battaient monnaie avec leurs dents. J’ai bien des fois assisté à leur souper ; elles mangeaient plus de pommes de terre que de bécasses, et quant au vin, vous pouvez bien le croire, ce n’étaient pas elles qui vidaient les caves. Un chauveau[2] leur faisait deux repas. Avaient-elles quelqu’un à dîner, c’était autre chose ; la table était servie aussi bien que chez mon maître. Au lieu du petit vin de sacristain qu’elles buvaient d’ordinaire, on ne versait que du vrai vin de curé. Il fallait voir Mlle Élisa faire les honneurs, et les choses gracieuses qu’elle disait. J’en étais ravi et contrarié tout à la fois ; cela creusait encore le fossé entre elle et moi, et il n’était déjà que trop profond !
Le grand souci de Mme Roset était de savoir ce que deviendrait sa fille, elle morte et la pension supprimée. Mlle Élisa excellait à l’aiguille et dans la broderie ; mais travailler pour le monde, elle qui portait chapeau, la fille d’un contrôleur ! Elle s’y serait prêtée