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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/553

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Quand je vais près de vous, Lena, coupant le blé.
Mon ardeur, je le sens, et ma force ont doublé.

« Avec vous dans les bois que ne suis-je fauvette !
On vivrait, belle enfant, sans peur de la disette.
Bienheureux les oiseaux ! ils ne travaillent pas
Et trouvent en chantant leurs faciles repas.

« Moi, j’ai les yeux tournés vers certaine chaumière  :
Sortirez-vous enfin, madame la fermière ?
Vous si charmante à voir quand vous venez à nous
Avec les plats fumans, le cidre frais et doux ! »

À peine il achevait ces plaintes émouvantes,
Que parut la fermière avec ses deux servantes ;
Soudain, trêve aux chansons ! mais, pour quelques instans,
N’en remuaient pas moins les langues et les dents.
À l’ombre ils savouraient, couchés sur l’herbe épaisse,
La succulente odeur de la soupe de graisse.
Le lard sur le pain noir fondant et la liqueur
Qui rafraîchit la bouche et ravive le cœur.
Ensuite un bon sommeil. Puis, d’un nouveau courage,
Sur les épis sonnans recommença l’ouvrage.
Les dos étaient courbés, mais un lointain brouillard
Par momens soulevait l’œil de plus d’un vieillard  :
— « À l’œuvre, mes enfans, à l’œuvre ! » — Et sans relâche,
Le front tout en sueur, chacun pressait sa tâche.

L’orage cependant, et plus sombre et plus lourd.
Comme un dôme pesait sur l’église du bourg.
De ses flancs s’échappaient de longs éclairs bleuâtres
Qui faisaient fuir au loin les troupeaux et les pâtres ;
De larges gouttes d’eau tombaient ; les moissonneurs
N’ayant plus qu’un recours, le Seigneur des Seigneurs,
Par le sable volant leurs figures souillées.
Se mirent à genoux sur les gerbes mouillées ;
Leurs faucilles gisaient éparses devant eux ;
Les mains jointes, ainsi parlaient ces malheureux.

LA FERMIÈRE.

Oh ! perdre en un moment le travail d’une année !
Voir languir dans la faim toute la maisonnée !
Pauvres petits enfans, avec quoi vous nourrir ?
O mes chers innocens, nous n’avons qu’à mourir.