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accusent chez ceux qui les ont faites une ignorance vraiment inexcusable de l’archéologie antique[1]. Le soin d’interpréter un seul et même auteur ayant été souvent confié à plusieurs personnes, il en est résulté une véritable marqueterie sous laquelle ont complétement disparu l’unité et la physionomie de l’écrivain original. Jamais le mot de Martial : sunt bona, sunt mala, n’a reçu une plus juste application. Les textes donnent lieu aux mêmes remarques ; pour quelques-uns, on a profité des travaux de la critique moderne ; pour la plupart, on s’est contenté de reproduire d’anciennes éditions, souvent très fautives, quelquefois même sans prendre la peine de les faire concorder avec la version française. Il en est de même des notes, qui sont presque toujours insuffisantes ; on reconnaît que dans le nombre il en est qui n’ont point été rédigées par les traducteurs, et il en résulte qu’elles contredisent parfois l’interprétation.

Quoi qu’il en soit de ces critiques, les collections du genre de celles dont nous venons de parler ont cependant produit quelques résultats satisfaisans ; elles ont popularisé dans leur ensemble les monumens de l’antiquité latine, et elles ont rendu accessibles à tous des auteurs qui jusqu’alors étaient restés comme perdus dans des éditions rares et fort coûteuses. De plus, dans les anciennes collections de textes, on s’était contenté pendant longtemps de reproduire les écrivains de la grande époque littéraire, et dans la décadence on s’arrêtait généralement à Claudien. Aujourd’hui on y comprend tous ceux qui ont vécu depuis Adrien jusqu’à Grégoire de Tours, et les bibliothèques

  1. Nous citerons comme exemple, dans la Bibliothèque de M. Panckoucke, le traité de Sextus Rufus, De Regionibus urbis Romœ. L’opuscule de Rufus, véritable guide du voyageur dans la ville éternelle pendant la domination des empereurs, a été traduit par M. Dubois, qui s’est fait connaître par diverses éditions classiques et par la publication des Annales du grand concours. Quelques citations prises au hasard suffiront à faire apprécier sa manière de traduire. Souvent M. Dubois se contente de répéter le mot latin en l’accolant à un article ou à un mot français. S’agit-il par exemple d’un arc de triomphe présentant une double façade ornée de bas-reliefs ou d’inscriptions, arcus bifrons, M. Dubois traduit par arc bifrant. Le pied-à-terre de César, mutatorium Cesaris, c’est-à-dire la petite maison où il venait passé quelques instans pour se distraire en changeant de lieu, reste dans le français le mutatorium de César. Tantôt le traducteur, en se tenant au plus stricte mot à mot, trouve encore moyen de défigurer le sens, comme dans cette phrase : Forum transitorium cum templo divi Nervæ, qu’il traduit par Forum transitoire avec un temple du divin Nerva, ce qui veut dire tout simplement le marché des étrangers, des marchands forains, de ceux qui ne sont point domiciliés dans Rome. Mais ce n’est point tout encore. On sait que dans Rome la police de sûreté était faite pendant la nuit par des soldats appelés vigiles, que ces soldats formaient sept cohortes, et que chaque cohorte avait à desservir deux arrondissement de Rome ; or, comme ces arrondissement étaient au nombre de quatorze, il se trouvait dans chacun d’eux une caverne ou un poste de garde de nuit. Faute de s’être rappelé ces détails, M. Dubois a suivi un texte entièrement fautif, et par suite de cette première erreur, il a, comme on dirait de nos jours, réorganisé les cohortes des gardes de nuit sur un pied entièrement nouveau, et il en a plus que doublé l’effectif. En effet, au lieu de statio cohortia VII vigilum, poste de la cohorte no 7, il a lu : Stationnariæ cohortes VII vigilum, ce qui veut dire : Sept cohortes sédentaires de gardes de nuit, et en répétant cette leçon fautive dans plusieurs passages, il est arrivé à compter quinze cohortes au lieu de sept, et à placer de véritables corps d’armée là où il n’y avait que de simples postes.