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refusait de signer la carte de l’étudiant, et l’obligeait à perdre ainsi trois mois. Ce qu’on demandait à l’étudiant, ce n’était pas de l’intelligence et du travail, mais de la soumission et une assiduité mécanique. « La lettre était tout, dit Lorenzo, l’esprit n’était rien. Le but qu’on s’était proposé était de former des machines et non des hommes. L’université était comme une énorme presse destinée à extirper de la génération présente toute indépendance d’esprit, toute dignité, tout respect de soi-même, et lorsque je passe en revue tous les nobles caractères qui ont cependant échappé à ce lit de Procuste, je ne puis m’empêcher de penser avec orgueil combien les élémens moraux de notre nature italienne, dont on parle si légèrement, doivent être forts pour sortir purs et vigoureux d’une atmosphère aussi délétère. » Personne à qui se fier parmi les inférieurs, qui étaient tous des espions et obligés de consentir à l’être pour obtenir et conserver leurs places. Tel est le brillant tableau que trace Lorenzo Benoni de l’université de Gênes pendant les années de la restauration.

Il n’est pas étonnant que des jeunes gens, tous ardens à la tête chaude, perpétuellement agacés par un despotisme aussi provoquant, sentissent s’amasser dans leurs cœurs des trésors de haine et s’agiter dans leur esprit des pensées de vengeance. Ce n’était pas d’ailleurs à l’université seulement qu’ils rencontraient l’arbitraire ; ils le rencontraient partout, dans leurs promenades, au sein de la société, dans leurs réunions, dans les lieux de plaisir. Un jour par exemple, Lorenzo et ses amis se promenaient pendant la nuit sur le pont de Carignano. Au bout de quelques instans, ils s’aperçoivent qu’ils sont suivis de près par deux carabiniers. « Que faites-vous là ? leur demanda l’un d’entre eux. — Nous nous promenons. — Il est trop tard pour se promener. — Il n’est jamais trop tard pour faire un tour pendant une si belle nuit. — La nuit est faite pour dormir, et vous feriez-mieux d’aller au lit. — Nous n’avons pas sommeil. — Peu importe, vous ferez bien d’aller vous coucher. — Est-ce un ordre que vous nous donnez ? — Oui, messieurs. — Et si nous n’obéissons pas ? — Nous serons obligés de vous mettre au poste. » Une autre fois la censure ordonna la suppression dans un opéra du mot libertâ, et ordonna de le remplacer par le mot lealtà (fidélité). Ce ne sont là d’ailleurs que des peccadilles à côté des abus de pouvoir de toute nature que rapporte Lorenzo Benoni, et dont nous lui laissons la responsabilité. Ces faits qui ont depuis deux ans remué toute l’Europe, ce sans-façon de despotisme et d’arbitraire qui a provoqué tant de discours dans le parlement d’Angleterre et fait écrire tant de lettres à M. Gladstone, sont choses de vieille date en Italie ; mais, — circonstance à noter, — ils n’ont commencé à frapper