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monde romain ; nous allons dire maintenant quel était le second.

Le Bulgare, ou plus correctement Voulgar, appartenait au groupe des Huns finnois et à l’arrière-ban de ce groupe : amené par les dernières guerres civiles, il était venu du fond de la Sibérie planter ses tentes au bord du grand fleuve qui s’appelait alors et s’appelle encore aujourd’hui dans les langues tartares Athel ou Athil, et qui prit le nom de Volga (fleuve des Voulgars) quand la domination bulgare fut devenue célèbre en Europe[1]. Il faudrait remonter au IVe siècle, époque de l’apparition des premiers Huns, pour retrouver dans l’histoire une impression de terreur et de dégoût comparable à celle qu’excitèrent ces nouveau-venus des solitudes septentrionales, aussi brutes que les bêtes des forêts au milieu desquelles ils avaient vécu jusqu’alors. À côté d’eux, le Hun d’Europe, en contact depuis plus d’un siècle avec les Romains et les Germains, pouvait presque se dire civilisé. Leur laideur, leur saleté, leurs instincts féroces, semblaient dépasser tout ce qu’on avait jamais connu. Le Bulgare détruisait pour détruire, tuait pour tuer, s’attachait à effacer tout travail de l’homme, comme pour ne laisser après lui que la représentation de ses déserts. On ne lui savait ni religion, ni culte, si ce n’est le chamanisme, qu’il pratiquait avec un grand luxe de superstitions. Quelque chose de diabolique s’attachait à ce peuple hideux, dont les sorciers, plus hideux que lui, évoquaient les esprits de ténèbres avec d’effroyables convulsions. C’étaient ses devins, ses conseillers politiques et ses prêtres, et l’on racontait d’eux des choses étranges auxquelles la crédulité ne manquait pas d’ajouter foi. On disait que dans un coin de l’armée pendant la bataille, ils avaient l’art de fasciner l’ennemi, de le troubler, de l’abuser par des visions fantastiques. Le Bulgare, sans frein dans ses appétits, avait la lubricité des bêtes : tous les vices étaient son partage, et il en est un auquel il a la gloire infâme d’avoir donné son nom dans presque toutes les langues de l’Europe. Ses institutions semblaient combinées pour le meurtre plus encore que pour la guerre ; nul chez lui n’arrivait au commandement qu’après avoir tué un ennemi de sa propre main. Il n’y avait pas jusqu’à sa manière de combattre, jusqu’à son arc énorme et ses longues flèches sûres de toucher le but, jusqu’à son coutelas de cuivre rouge et à ce filet dont il emmaillottait ses ennemis tout en courant, qui n’inspirassent une appréhension involontaire, soit par leur nouveauté, soit par sa dextérité prodigieuse à s’en

  1. Cette domination, qui eut pour siège la ville de Bulgaris, située près du lieu où s’élève actuellement Kasan, embrassa tout le cours du Volga ainsi que le nord de la mer Caspienne. Bulgaris était au Xe siècle le centre d’un trafic considérable ; elle tomba au XIIIe siècle, ainsi que la domination bulgare, sous les armes de Batou, fils aîné de Tchinghiz-Khan.