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sujets et de leur temps. Sous un gouvernement électif, où les caractères arrivent tout trempés à la souveraine puissance, le prince est presque toujours un des types saillans de son époque, et on peut étudier en lui comme une image résumée des sujets. Quelques détails sur Justinien et sa famille justifieront cette vérité.

Vers l’an 474 et pendant le règne de l’empereur Léon étaient arrivés de Bédériana à Constantinople trois jeunes paysans qui, un bâton à la main et un sayon de poil de chèvre sur l’épaule, avec quelques pains noirs, venaient chercher fortune dans la ville impériale. Comme ils étaient grands et bien tournés, un recruteur les enrôla dans la milice du palais, où ils firent tous trois leur chemin, moitié par leur bravoure, moitié par la souplesse et l’habileté de conduite qui distinguait les montagnards de leur pays. L’un d’eux fut l’empereur Justin, qui de grade en grade était devenu commandant supérieur de ces mêmes milices palatines où il avait été simple soldat. À la mort d’Anastase, l’eunuque grand-chambellan, voulant faire pencher le choix de l’armée vers une de ses créatures, remit à Justin une grande somme d’argent pour la distribuer aux soldats : Justin la prit, la distribua, fut lui-même proclamé auguste, et l’on rit beaucoup du tour que le capitaine des gardes avait joué au grand-chambellan. Quand Justin eut sa fortune faite, il appela près de lui sa sœur Béglénitza, femme d’un paysan de Taurésium, nommé Istok, et leur fils Uprauda, qu’il voulut élever comme sien, car il n’avait point d’enfans. Les trois campagnards déposèrent, en même temps que leur costume illyrien, leurs noms, qui auraient par trop égayé la haute société de Constantinople ; on leur donna des noms latins sonores, on leur fabriqua même une généalogie qui les faisait descendre d’une branche de la noble famille des Anicius, implantée autrefois en Dardanie. En vertu de ce baptême latin, Béglénitza devint Vigilantia ; Istock, Sabbatius, et Uprauda prit ce nom de Justinianus qu’il a su rendre immortel.

Le pâtre de l’Hémus n’avait pas reçu dans son enfance une éducation bien soignée, s’il est vrai, comme le raconte Procope, qu’il ne pouvait signer son nom qu’à l’aide d’une lame d’or évidée dont il suivait les traits avec sa plume ; en tout cas, il voulut qu’il en fût tout autrement de son, neveu. Le jeune Uprauda reçut les meilleurs maîtres en toute chose et les étonna par l’activité insatiable et l’universalité de son intelligence : éloquence, poésie, droit, théologie, art militaire, architecture, musique, il voulut tout savoir et sut tout. Devenu empereur, il travailla lui-même à ces monumens éternels du droit qui font sa première gloire. Ses rapports au sénat étaient toujours son ouvrage, et il les improvisait souvent, quoique avec un accent un peu rude, et qui décelait son origine illyrienne. L’église