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kha-kan ne sut pas leur résister, et les bains d’Augusta demeurèrent debout. Tout le pays sur une partie du Danube ressentit ainsi sa fureur ; puis, traçant dans sa marche une diagonale qui traversait la Basse-Mésie, il alla s’abattre sur la côte de la Mer-Noire, dont les riches cités, entrepôts du commerce maritime entre l’Asie et les pays du Danube, avaient été jusqu’alors exempts de la guerre. Mésembrie et Odyssus, aujourd’hui Varna, échappèrent, à ce qu’il paraît, au sac qu’il leur réservait ; mais il prit Anchiale et y séjourna. C’est là qu’il reçut la visite de deux personnages éminens que lui avait députés l’empereur pour lui demander en quoi les Romains l’avaient offensé et lui faire sentir la déloyauté de sa conduite. « Vous voulez savoir ce que j’ai le dessein de faire, répondit durement Baïan ; j’ai dessein d’aller détruire la longue muraille derrière laquelle vous vous cachez. »

Cette brutale explication frappa les députés de stupeur. Helpidius, l’un d’eux, ancien préteur de Sicile et versé dans la pratique des affaires, se taisait dans l’attitude d’une profonde consternation, méditant probablement quelque réponse qui n’irritât point par trop ce barbare intraitable, quand son compagnon prit la parole. C’était un officier supérieur de la garde palatine, nommé Commentiolus, orateur prétentieux, infatué de son mérite, et qui avait gagné son grade de général par le cliquetis de son éloquence verbeuse plus que par celui de son épée. Trouvant là matière à un beau plaidoyer sur la majesté romaine, il adressa au kha-kan cette solennelle allocution : « Kha-kan, lui dit-il, les Romains avaient cru que tu honorais les dieux de tes pères, et que tu craignais les autres dont tu as invoqué le nom en garantie de tes sermens. Ils pensaient aussi que tu te souvenais de l’hospitalité que tes pères errans et fugitifs ont reçue chez nous, et que tu ne rendrais pas le mal pour le bien. Voilà pourtant que tu fais le contraire : tu violes le droit des gens, et tu nous attaques en pleine paix ; mais la modération de notre empereur est telle qu’il oublie ta conduite, et qu’il t’offre encore le bien pour le mal. Pourtant, crois-moi, ne lasse pas notre patience ; crains d’armer contre toi cette liberté romaine, mère de tant de prodiges dans tous les temps, et, par ton insolence excessive, ne nous force pas à nous rappeler ce que nous sommes et ce que furent nos pères. Les Romains sont grands, ils renferment dans leur empire de puissantes nations, des richesses, des armes, et quand ils veulent récompenser ou châtier, ils récompensent ou châtient. Que te faut-il ? De l’argent ? Les Romains te prodiguent le leur. Un pays grand et riche ? Tel est celui que les Romains t’ont donné. Vous vous trouvâtes heureux dans votre exil, ô Avars, de n’être point rejetés de nos frontières. Vaincu, banni, sans asile, ce peuple roulait vers l’Occident comme le débris d’un édifice renversé, quand nous lui avons ouvert un refuge et donné