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Mais les yeux cherchaient dans la nouvelle administration le jeune Pitt, dont la place y semblait marquée. Lui-même, il s’était donné l’exclusion en disant d’avance en plein parlement que, quels que fussent les nouveaux arrangemens, il n’y participerait pas, résolu qu’il était à n’accepter jamais une position subordonnée : confession naïve et menaçante d’une hautaine ambition.

Il tint parole, et demeura dans une neutralité indépendante, ne combattant pas le nouveau cabinet, mais ne l’aidant pas davantage, dédaignant les questions qui n’intéressaient que l’existence ou l’amour-propre des ministres, et poursuivant ses propositions de réforme parlementaire que ceux-ci ne pouvaient accepter. C’était une question restée ouverte, mais que la majorité se souciait peu d’aborder. Fox votait pour les propositions réformatrices de Pitt, en s’inquiétant de son attitude. Il avait de lui une haute opinion ; mais il craignait que le désir d’être le premier ne l’aveuglât au point de se laisser persuader de rétablir l’ancien système de gouvernement. Il soupçonnait lord Shelburne de tendre à ce but, et d’éloigner Pitt du système actuel en lui faisant craindre de n’y figurer jamais qu’en seconde ligne. Une désunion intime faisait la grande faiblesse du ministère. Lord Rockingham manquait d’autorité dans sa personne; Richmond, Shelburne, Camden s’effaçaient dans la chambre des lords; Fox était tout dans celle des communes, mais il marchait seul et se concertait peu. C’était cependant un excellent ministre. Il se montrait attentif, exact, laborieux. Les affaires faisaient trêve à de vains plaisirs ; le pouvoir régularisait sa vie. Il était de ces hommes pour qui les devoirs positifs ont besoin de l’attrait d’un grand but. L’empire sur lui-même ne lui venait que lorsqu’un peu de gloire recommandait la vertu.


« M. Fox, dit Horace Walpole, brille déjà avec autant de grandeur dans le pouvoir qu’il a fait dans l’opposition, quoique la tâche soit infiniment plus difficile. Il est maintenant aussi infatigable qu’il était paresseux. Il a une parfaite égalité de caractère (a perfect temper); non-seulement il est de bonne humeur, mais de bonne nature, et c’est la principale qualité d’un premier ministre dans un pays libre. Il a plus de sens commun que personne avec des talens surprenans, que ni l’ostentation ni l’affectation ne déparent. Lord North avait l’esprit et la bonne humeur, mais ni le bon caractère, ni le sentiment, ni l’activité, ni les manières d’un homme bien élevé. Lord Chatham était un éblouissant météore ; il a fait au loin la guerre avec succès, mais il est tombé à rien dans la paix. Peut-être suis-je partial pour Charles Fox, parce qu’il ressemble à mon père pour le bon sens. »


Le ministère entreprit quelques réformes; mais c’était là sa tâche la plus aisée : sa grande affaire était la paix.