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REVUE DES DEUX MONDES.

Sur l’oreiller du mal c’est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.

C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent ;
Aux objets répugnans nous trouvons des appas ;
Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Dans nos cerveaux malsains, comme un million d’helminthes,
Grouille, chante et ripaille un peuple de démons,
Et quand nous respirons, la mort dans nos poumons
S’engouffre, comme un fleuve, avec de sourdes plaintes.

Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie
N’ont pas encor brodé de leurs plaisans dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C’est que notre âme, hélas ! n’est pas assez hardie.

Mais parmi les chacals, les panthères, les lyces,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpens,
Les monstres glapissans, hurlans, grognans, rampans
Dans la ménagerie infâme de nos vices,

Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde.
Quoiqu’il ne fasse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris,
Et dans un bâillement avalerait le monde ;

C’est l’Ennui ! — l’œil chargé d’un pleur involontaire,
Il rêve d’échafauds en fumant son houka.
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
— Hypocrite lecteur, — mon semblable, — mon frère !


II.

RÉVERSIBILITÉ.


Ange plein de gaîté, connaissez-vous l’angoisse,
La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le cœur comme un papier qu’on froisse ?
Ange plein de gaîté, connaissez-vous l’angoisse ?