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adolescence; pas un mémoire intéressant ne paraissait en France ou hors de France qu'il ne passât sous ses yeux. Il était au courant de tous les progrès, de toutes les découvertes, et il savait en mesurer l'importance; son bon sens se défiait souvent de son imagination très vive; éclairé par son instruction militaire, qui était fort étendue, quoiqu'il n'en fît pas parade, il dégageait le vrai du faux. Usant de la légitime influence qui appartient dans une monarchie à l'héritier du trône, mais n'en usant jamais que dans l'intérêt public et n'ayant jamais essayé de l'exercer au-delà des limites constitutionnelles, il propageait les idées qui lui paraissaient justes avec toute l'ardeur de sa nature, avec le tour d'esprit le plus vif et la parole la plus animée; car rarement on vit tant de qualités séduisantes unies à un mérite aussi solide. C'est lui qui avait fait décider la formation du bataillon de tirailleurs; il l'avait suivi avec attention pendant les expériences de Vincennes; il l'avait vu à l'œuvre en Afrique. Convaincu que le résultat de l'épreuve était favorable, que cette création développée, perfectionnée, contenue dans de justes limites, pouvait rendre des services essentiels, il avait obtenu du gouvernement que le nombre des bataillons fût porté à dix, et pour justifier ses assertions par des faits, il se mit résolument à l'œuvre.

On renonça au nom de tirailleurs, qui représentait une idée fausse, s'appliquant à un ordre de combat commun à toute l'infanterie. Ce lui de chasseurs à pied convenait mieux à un corps hors ligne, et indiquait l'objet de l'institution. On s'était demandé si, à l'organisation par bataillons, on ne devrait pas préférer l'organisation par régimens, consacrée par l'usage, modèle de la famille militaire. Au premier système, on reprochait d'exiger la création d'un état-major particulier pour chaque bataillon, au lieu d'un pour trois, ce qui était plus coûteux, sans présenter les mêmes ressources pour l'administration et le commandement; on signalait surtout l'insuffisance d'un seul officier supérieur, qui pouvait être blessé, malade, absent; mais les régimens de chasseurs n'eussent jamais été réunis, les bataillons étant destinés à être attachés isolément aux divisions de quatre à six régimens d'infanterie. Le morcellement perpétuel d'un corps était un inconvénient bien autrement sérieux que ceux qui avaient été indiqués : on maintint donc la décision prise.

Le bataillon formé deux ans plus tôt à Vincennes devint premier bataillon de chasseurs. Comme il devait servir de type à l'organisation des neuf autres, il fut rappelé d'Afrique et dirigé sur Saint-Omer. Auprès de cette ville existait un baraquement permanent, un vaste champ de manœuvres et tous les établissemens nécessaires à une nombreuse réunion de troupes. Bientôt on y vit affluer des détachemens fournis par tous les corps d'infanterie, composés d'hommes