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nommait Zihébil), le releva, l’embrassa, et lui posa sa couronne sur la tête en l’appelant son fils ; Zihébil, en signe de dévouement respectueux, le baisa au cou. L’entrevue fut suivie d’un festin après lequel Héraclius abandonna aux officiers khazars, à titre de cadeau, toute l’argenterie servie sur la table. Zihébil reçut en outre de riches habits de soie brochés d’or et des pendans d’oreilles du plus grand prix. La parole d’Héraclius, lorsque quelque grande pensée l’animait, était vive, pénétrante, et ceux qui l’entendaient avaient peine à lui résister : c’est ce qu’avaient éprouvé plus d’une fois les Romains, et ce qu’éprouvèrent à leur, tour les sauvages enfans des steppes. Que leur dit-il ? Se plut-il à leur peindre le spectacle magnifique de la civilisation opposé aux misères de la vie nomade ? Leur montra-t-il les biens qui rejailliraient sur eux d’une association avec cet empire où l’équité des lois, l’ordre constant, le commerce, les arts, rendaient l’existence de tous assurée et heureuse ? Fit-il apparaître dans un horizon lointain, comme le but vers lequel marchaient tous les peuples, grands ou petits, civilisés ou barbares, sédentaires ou nomades, la croix de Jésus-Christ, ce gage de rédemption qu’il allait reconquérir au fond de la Perse, avec une poignée d’hommes, sans hésitation et sans peur ? On ne sait ; mais l’histoire nous raconte que les Barbares restèrent ébahis et muets sous le charme de ses discours. Dans un transport d’enthousiasme, Zihébil, se levant, prit par la main son fils, dont un léger duvet couvrait à peine le visage, et supplia Héraclius de le garder près de lui, afin que cet enfant devînt un homme en l’écoutant. Au milieu de ces confidences d’une amitié nouvelle, Héraclius fit voir au barbare un portrait de sa fille Eudocie, que le peintre avait représentée dans toute la fraîcheur de sa jeunesse et de sa beauté, sous le splendide costume des augustes. Le barbare, à cette vue, ne put retenir un cri d’admiration, et ses yeux ne quittaient plus l’image. « Eh bien ! dit l’empereur, ce modèle de beauté est à toi si tu m’aides dans mon entreprise, et si ton peuple fait alliance avec le mien ; je te promets ma fille pour épouse. » Les aventures romanesques ont été de tout temps du goût des Orientaux, et la conférence ne s’acheva pas que Zihébil ne fût éperdûment amoureux de la princesse. Le marché fut donc conclu, et Zihébil s’éloigna, laissant quarante mille guerriers sous les drapeaux d’Héraclius. Avec ce renfort, la guerre recommença plus ardente que jamais dans le nord de la Perse. Quant à Eudocie, devenue l’appoint d’un traité, elle quitta Constantinople pour aller trouver sous les tentes de feutre du désert le fiancé que son père lui avait donné ; mais elle apprit en route que Zihébil, heureusement ou malheureusement pour elle (qui saurait le dire ?), venait de mourir de mort violente chez les siens.