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fallait pour éviter qu’il n’eût des conséquences funestes, et vraisemblablement ce fut lui qui dirigea le percement du canal. Ce canal remarquable, analogue par sa destination, mais très par sa dimension et par la perfection de sa maçonnerie à l’égout de Tarquin, ramène, à l’occasion d’un grand travail d’architecture souterrain, l’intervention d’un Étrusque. Seulement le vieil aruspice n’était probablement pas l’homme le plus habile de son pays; c’était un ingénieur de hasard. De là les imperfections dans l’ajustement des pierres de l’émissaire. Celui-ci n’en remplit pas moins l’objet qu’on s’était proposé, et il sert encore à fertiliser la campagne au-dessous de Castel-Gandolfo, en même temps qu’il éloigne des habitations placées autour du lac le danger d’un débordement.

Le lecteur a, j’imagine, déjà vu clair dans le manège du sénat. Le monologue du vieil Étrusque prononcé tout juste de manière à être entendu par un soldat romain inspire des soupçons. On peut supposer avec assez de vraisemblance que ce monologue lui avait été conseillé en secret, et probablement assez bien payé par le sénat, lequel, en calmant les inquiétudes nées du prodige et qui pouvaient décourager les soldats, en réalisant la condition mise par un oracle à un succès, ce qui était un excellent moyen d’assurer ce succès, voulait aussi faire accomplir une œuvre utile, capable de rivaliser avec les grands travaux de ses prédécesseurs. Il fallait un Étrusque pour prescrire l’entreprise au nom du ciel et pour en diriger l’exécution. On fit parler et enlever le bonhomme, puis l’on construisit le canal souterrain comme on put. Telle est l’explication bien vraisemblable des circonstances de la construction de cet émissaire, des mérites et des vices de cette construction. C’est une petite comédie religieuse dans laquelle un devin étrusque joue le rôle de compère, et qui en somme tourne au bien de l’état.

A peine les Romains étaient-ils venus au bout de la grande entreprise de Véies, qu’ils furent menacés d’un péril imprévu, plus redoutable que tous les périls dont ils avaient triomphé : les Gaulois marchaient sur Rome. Ce fut la première irruption des Barbares. La terreur de l’inconnu s’empara des âmes; la défense fut mal préparée, et à douze milles de Rome les Romains subirent un échec terrible sur les bords d’une petite rivière dont le nom devait devenir funeste, et à laquelle on ne peut se défendre d’associer des idées lugubres, bien qu’elle coule à travers une des plus magnifiques parties de la campagne romaine :

 Infelix Allia nomen.


Une portion des soldats romains se noya dans le Tibre, une autre gagna Véies par la vallée de la Cremera, une autre enfin s’enfuit